Pas de nouvelles, mauvaises nouvelles.

Sans surprise, le budget Freeland ne prévoit pas de hausse des transferts en santé. Mais en le lisant, on comprend que l’horloge joue contre les provinces. Plus le temps passe, plus les dépenses récurrentes s’ajouteront aux finances d’Ottawa. Il restera donc moins d’argent à partager.

On ignore quand commenceront enfin les négociations. Chose certaine, elles seront coriaces. Le fédéral exigera quelque chose en retour.

La table est mise dans le budget. Les libéraux y critiquent poliment la gestion des provinces. Le Canada dépense un plus grand pourcentage de son PIB en santé (10,8 %) que la moyenne des pays de l’OCDE. Malgré tout, les résultats sont décevants. L’accès et la qualité des soins sont moins bons qu’en France, en Allemagne, en Australie ou au Royaume-Uni, souligne-t-on.

Le fédéral profitera des négociations pour faire « la promotion de [ses] priorités » et pour exiger de « meilleurs résultats ».

La question du « comment » sera omniprésente. Quant au « combien », les moyens d’Ottawa auront diminué.

Le gouvernement Trudeau est en train d’ajouter des dépenses récurrentes costaudes.

Le dernier budget prévoyait un programme national de garderies. Vrai, Québec reçoit un chèque annuel sans compensation d’environ 1,2 milliard, qu’il peut réinvestir en santé. Mais ce programme coûte tout de même près de 6 milliards par année au fédéral, ce qui réduit sa marge de manœuvre.

Cette fois, Mme Freeland hausse les dépenses militaires (près de 7 milliards, en plus des achats que pourrait recommander un rapport à venir). Elle fait également des concessions au NPD. Pour obtenir leur appui, les libéraux payeront les soins dentaires aux gens à revenus modestes (1,7 milliard annuel à terme) et créeront un programme national d’assurance médicaments. Un projet de loi sera déposé en 2023, pour une mise en application espérée en 2025. La facture reste inconnue, mais elle sera probablement salée.

En contrepartie, le budget offre moins de nouvelles sources de revenus.

Il est difficile d’évaluer les recettes générées par des initiatives du budget comme la nouvelle agence d’innovation, la stratégie sur les métaux rares et le fonds pour attirer des investissements en technologies vertes.

Les économies promises sont aussi incertaines. Une révision des dépenses sera faite pour vérifier entre autres si le télétravail permettrait de réduire les coûts de l’administration publique. Pour l’instant, cela reste hypothétique.

Une hausse de 1,5 point de pourcentage de l’impôt pour les banques et sociétés d’assurance, ainsi qu’une lutte renforcée contre l’évitement fiscal, sont aussi au programme. Dans le passé, de telles mesures ont toutefois livré moins de recettes qu’espéré.

Analysées individuellement, les nouvelles dépenses peuvent paraître justifiées. On peut aussi soutenir qu’elles ne dépassent pas la capacité de payer du Canada. Après tout, le ratio dette-PIB baissera avec le temps.

Mais au Canada, on ne peut pas s’arrêter à une analyse strictement économique des finances publiques. Le dossier est indissociable de la vision du fédéralisme.

Les dépenses d’Ottawa doivent être évaluées en fonction des champs de compétence et des relations entre le fédéral et les provinces.

Bien sûr, c’est le gouvernement Trudeau qui a fourni l’essentiel de l’aide durant la pandémie – 80 % des dépenses venaient du fédéral. Si le gouvernement Legault avait les moyens de donner 500 $ aux contribuables, c’est un peu grâce à cela…

Cette année, le transfert en santé ne pose pas problème. Il fluctue en fonction de la croissance économique. Comme elle est plus forte que prévu, les provinces reçoivent un chèque bonifié. Reste que ce contexte favorable ne durera pas.

Le budget prévoit trois scénarios de croissance économique pour la période 2024-2026. Aucune ne dépasse 2,4 %. Ce qui signifie que le transfert devrait rester au niveau plancher de 3 %.

Or, les dépenses en santé des provinces augmentent plus vite. Elles grimpent d’au moins 4 % en moyenne par année, et le vieillissement de la population n’aidera en rien. Par exemple, les Québécois de 70 ans et plus forment moins de 14 % de la population en ce moment. En 2035, ce pourcentage sera de 20,5 %.

Un déséquilibre structurel se creuse.

Ce rapport de force fiscal rend plus irritantes les intrusions du fédéral dans les compétences des provinces.

Aux yeux du ministre canadien de la Santé, Jean-Yves Duclos, le fédéral n’est pas un guichet automatique. Exiger des résultats est normal et même responsable, soutient-il. À sa décharge, les provinces peuvent sans doute faire mieux.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jean-Yves Duclos, ministre de la Santé du Canada

Il fait le pari que bien des gens se fichent des débats de compétences. Pourtant, le plan du Québec pour redresser son système de santé mise sur une décentralisation. La reddition de comptes pourrait y nuire.

Le gouvernement caquiste s’en indigne, mais il pourrait manquer d’alliés.

Même si le Bloc québécois milite pour une hausse des transferts en santé, l’alliance de Justin Trudeau avec Jagmeet Singh a réduit son pouvoir de négociation. Le gouvernement minoritaire n’a plus besoin de lui.

Pour l’instant, le Conseil de la fédération fait front commun. La complexe négociation à venir sur le régime national d’assurance médicaments pourrait toutefois changer les choses. Elle risque d’ouvrir la porte à des concessions avec les provinces intéressées par un tel régime. Et ça, c’est sans compter l’effet du contexte économique mondial sur les finances du fédéral.

En santé, le temps n’arrangera pas les choses.