Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a offert sa meilleure interprétation du capitaine Bonhomme, mardi matin.

« Les sceptiques seront confondus », a-t-il assuré en dévoilant son plan de refondation du réseau.

Je n’ai pas réussi à vérifier dans son dos si ses doigts étaient croisés.

Si le ministre a un peu de mémoire, il pardonnera aux sceptiques. Car dans le passé, ils ont eu une redoutable moyenne au bâton.

Dans ce qui ressemble à l’euphémisme du printemps, M. Dubé a dit que le défi résiderait dans « l’exécution ». En effet. Écrire un « plan santé » n’est pas si difficile. Le mettre en application, c’est autre chose…

Après lecture du document de 90 pages, plusieurs questions demeurent sans réponse.

M. Dubé veut que le Ministère cesse de jouer à l’opérateur. Il se contenterait de dicter les objectifs. Ce serait ensuite aux établissements de choisir les moyens. Comment mener cette petite révolution ? Il faudra attendre le rapport que sa sous-ministre Dominique Savoie déposera dans les prochaines semaines.

Cette décentralisation viendrait avec une « imputabilité » accrue. Il y aura plus de gestionnaires sur le terrain, et ils devront rendre des comptes. Comment ? Cela reste à voir.

Le guichet d’accès unique, déjà implanté en partie dans le Bas-Saint-Laurent, mettrait rapidement chaque patient orphelin en contact avec le bon professionnel. C’est crucial pour renforcer la première ligne. Sa mise en place commencera ce printemps. Sa plateforme n’a toutefois pas encore été testée à grande échelle, notamment pour l’inscription des disponibilités des médecins.

Le ministre promet d’abolir les heures supplémentaires obligatoires et de limiter au strict minimum le recours aux agences de placement. Pour cela, il devra toutefois recruter, former et retenir davantage d’infirmières. Même logique aussi pour l’ajout de 2000 lits d’hôpital.

Où dénicher ces gens ? L’immigration ne suffira pas. Et sans personnel, son plan, ce n’est que de l’encre sur du papier.

Le mode de rémunération des omnipraticiens sera changé. Au lieu de dépendre seulement des actes médicaux, il variera aussi en fonction du nombre de patients à leur charge. Mais le détail reste inconnu – cela fait encore l’objet de négociations avec leur fédération médicale.

Enfin, M. Dubé veut colliger les données des patients et les diffuser dans le réseau. Excellente idée. Les patients auront accès à leur dossier, les chercheurs pourront enfin comparer notre réseau aux autres et le Ministère fera le suivi des différents indicateurs – un poste de sous-ministre aux données a d’ailleurs été créé durant la pandémie. De quelle façon M. Dubé s’en servira-t-il ? Son plan donne peu d’objectifs chiffrés, ni de budget détaillé pour chaque mesure.

Le plan de M. Dubé n’est pas mauvais. Ce qu’on y lit est très bien. Le problème, c’est ce qui manque.

Après des décennies d’espoirs déçus, les Québécois ont développé des mécanismes de défense. Pour d’évidentes raisons de santé mentale, ils n’osent plus croire aux promesses. Surtout quand on constate que le nouveau plan reprend de vieilles promesses électorales encore non réalisées.

C’est donc en tapant avec des gants blancs sur mon clavier que j’écris ceci : cette fois, ça pourrait marcher. Un petit peu, au moins. Du moins, il faudrait. Car aucun ministre n’a profité d’un contexte plus favorable que M. Dubé.

En début de mandat, le gouvernement caquiste voulait ménager un réseau de la santé échaudé par la réforme Barrette. Un des premiers gestes a été de reculer face à la rémunération des médecins spécialistes. Celle-ci a été réduite d’environ 560 millions par année, soit la moitié de ce qui était promis.

Et ce qui est en chantier n’avance pas vite. Québec manquera de temps pour adopter tous ses projets de loi à l’étude (aide médicale à mourir, fin de l’état d’urgence, accès à la première ligne, accès aux données et réforme de la protection de la jeunesse).

Même si la pandémie n’a pas aidé, il est frappant de voir le nombre de promesses qui réapparaissent dans ce plan santé. Ce document gouvernemental risque d’ailleurs de devenir la plateforme électorale de la CAQ en santé.

Reste que cette fois, les astres s’alignent.

La COVID-19 a exposé toute la fragilité de notre système de santé. Elle a aussi montré que le paquebot pouvait changer de direction.

Petit miracle, un site internet efficace a été créé pour la vaccination. Et la rigidité corporative a été surmontée pour permettre à près de 20 métiers d’injecter le vaccin.

Politiquement, M. Dubé est un des rares ministres à jouir d’une grande latitude face à François Legault. Même s’il est ministre de la Santé, il obtient un des meilleurs taux d’approbation parmi nos politiciens.

Si le prochain gouvernement veut poursuivre ce travail, il pourra s’y mettre dès le jour 1. D’autant plus que le plan a reçu un accueil assez positif. Notamment parce qu’il ne prétend pas réinventer la roue. Il s’appuie sur les consensus des précédents rapports, dont celui déposé par Michel Clair en 2001.

Il a d’ailleurs fallu une bonne dose d’humilité à la machine administrative pour mentionner ces rapports dans le plan. Après tout, cela prouve que 20 ans plus tard, peu de choses ont changé.

Changer une culture, c’est dur et c’est long. Si le ministère de la Santé se désinvestit des opérations, tout le monde devra s’ajuster. Il faudra accepter des différences de méthodes entre les hôpitaux. Et cesser de rendre le ministre personnellement responsable quand un patient subit de mauvais traitements.

Mais ça, on en parlera rendu au fil d’arrivée… Pour l’instant, le ministre vient à peine de faire le premier pas. Même s’il va dans la bonne direction, le fil d’arrivée apparaît encore en tout petit format dans ses jumelles.