Bien sûr qu’il y a quelque chose de viscéralement nostalgique dans le festival de revendications qu’organisent cette semaine les étudiants en grève. Dix ans après le printemps érable, on veut ressentir ce qu’ont vécu ceux qui sont aujourd’hui enseignants, sociologues ou députés.

Même si la lutte de 2012 a, au bout du compte, peu amélioré la situation des étudiants, ceux qui reprennent le combat cette semaine veulent quand même se faire entendre. Ils veulent leur printemps.

Place du Canada, mardi, ils étaient toutefois nettement moins nombreux qu’il y a dix ans, mais leur entrain était grand. Ils venaient de l’UQAM, du Cégep du Vieux Montréal, de Sherbrooke ou d’ailleurs. J’ai échangé avec plusieurs d’entre eux. J’ai entendu les propos de jeunes allumés, avec des idées et de véritables convictions.

Beaucoup de gens pensent que cette série de manifestations est inutile et folklorique. Je ne le pense pas. Si les jeunes ne revendiquent plus rien, qui d’autre le fera ? Que serait la jeunesse sans ses revendications, son envie de changer le monde ?

« C’est une loi de la nature que la jeune génération doit prendre les choses en main et différer de ses parents », ai-je déjà entendu de la bouche d’Alfred DesRochers lors d’une entrevue radiophonique. « Sinon, la race dégénère. » Le vieux poète avait raison.

Au tournant des années 1980, comme des milliers d’étudiants, j’ai pris part à une grève étudiante. Baveux pas à peu près, on a occupé pendant des jours et des nuits le Cégep de Hull que je fréquentais. Il y avait des sentinelles qui surveillaient l’arrivée de la police pendant que les autres dormaient dans le gymnase sur des tapis de judo qui sentaient les pieds.

Je ne me souviens plus des raisons pour lesquelles on a fait cette grève, encore moins de ce qu’elle nous a rapporté. Mais je me souviens très bien du sentiment que j’ai éprouvé durant ces jours de lutte. Pour la première fois, je me suis senti adulte.

Les jeunes qui descendent dans la rue avec une conscience sociale ressentent probablement la même chose.

En tout cas, mardi, ils m’ont parlé de leur situation, de ce qu’ils doivent faire pour joindre les deux bouts. Et en aucun moment je n’ai pensé qu’on exagérait, qu’on était venu manifester pour « une semaine de break ».

« Je viens d’un milieu défavorisé, m’a dit Pola Cormier, étudiante à l’UQAM. Je suis une vraie décrocheuse du secondaire. Je fais un retour aux études. Avec 15 $ de l’heure, c’est difficile d’arriver. »

Il y a 10 ans, Pola avait 22 ans et était enceinte. Elle a attendu que sa fille grandisse avant d’entreprendre des études en sciences comptables en 2019 à l’âge de 29 ans. « J’entends des choses qui me dégoûtent dans mes cours. Je suis là pour faire les choses autrement. »

Sur sa pancarte, Simone avait écrit : « Ma mère a vendu toutes ses casseroles pour me payer mes études ». Je suis allé jaser avec elle. La jeune fille avait 10 ans en 2012. Elle parle avec fierté de sa mère enseignante qui a marché dans la rue aux côtés des milliers de manifestants.

Simone étudie aujourd’hui en techniques de gestion et intervention en loisirs. « On doit faire au total 450 heures de stage et nous ne sommes pas rémunérés », m’ont expliqué ses camarades, Katherine et Olivier. Le sujet de la rémunération des stages est sur toutes les lèvres. Je dirais même que c’est la grande bataille de ce mouvement.

Isabelle et Frédéric, deux étudiants en sexologie de l’UQAM, veulent également profiter des manifestations prévues cette semaine pour obtenir des stages rémunérés. « Il faut que les entreprises et le gouvernement travaillent ensemble, m’a dit Frédéric. On nous demande de travailler comme des professionnels, mais gratuitement. »

Plusieurs arboraient le fameux carré rouge. Il y avait en revanche très peu de casseroles. Les percussionnistes de la formation Movimento étaient là pour mettre de l’ambiance. Ces musiciens étaient étudiants en musique à l’Université de Montréal lors du printemps érable. Aujourd’hui, ils offrent leur talent lors d’évènements qui défendent des causes sociales.

« On répète tous les dimanches, m’a dit Louis Desjarlais. On prend ce qu’on nous offre pour payer les instruments. » Voilà des artistes qui ont de la suite dans les idées.

Il y avait aussi quelques groupes socialistes ou marxistes qui faisaient leur promotion. Louis-François, qui fait partie de La Riposte socialiste, avait 16 ans lors du printemps érable. Son père a organisé une manif à Gaspé. La pomme n’est pas tombée loin du pommier.

« Aujourd’hui, c’est moi qui lui envoie des articles et le mets au courant de ce qui se passe », m’a confié cet étudiant en sociologie.

Grosse semaine, donc, pour les étudiants et les cégépiens qui ont pris la décision de chambouler le calendrier scolaire alors qu’ils entrent dans la période des examens. Cela dit, ce n’est pas tout le monde qui ose prendre part à ce mouvement. Disons que je n’ai pas croisé d’étudiants en droit ou en médecine.

C’est sûr qu’il y a moins de nerfs et que les « leaders » n’ont pas l’étoffe de ceux de 2012. Quant aux associations étudiantes militantes, elles sont absentes. On souhaite une plus forte mobilisation d’ici à l’automne au moment où se tiendront des élections provinciales.

Est-ce que les étudiants se mettront en travers de la route de François Legault comme ils l’ont fait avec Jean Charest il y a dix ans ? Il n’y avait aucun indice de cela mardi.

Ce qui est nouveau cette fois, c’est la place que prend la lutte contre les changements climatiques. Des rassemblements auront lieu vendredi, puis le 1er avril et le 22 avril, à l’occasion du Jour de la Terre. Ces rassemblements pourraient être plus importants.

Je n’ai pas souvent l’envie de revenir en arrière, de « revivre ma jeunesse », de retrouver les aspirations de mes vingt ans. Mais j’avoue qu’hier, j’aurais aimé avoir l’âge de ces étudiants.

Et passer la nuit dans un cégep barricadé sur un tapis de judo qui sent les pieds.