Alors que le centre-ville d’Ottawa se libère lentement, péniblement, les regards se tournent vers le NPD.

Le débat reprend cette fin de semaine sur la Loi sur les mesures d’urgence. Un vote est prévu dans les prochains jours. Les conservateurs et les bloquistes voteront contre.

Le gouvernement libéral minoritaire a donc besoin de l’appui du Nouveau Parti démocratique (NPD). Sinon, la loi cessera de s’appliquer.

Le chef néo-démocrate a sûrement envie de citer Jerry Maguire : « Aidez-nous à vous aider ! »

Je vais écrire au conditionnel pour réduire mes risques de regret : il semblerait que la police réussira à mettre fin d’ici quelques jours au siège de la capitale fédérale. Cela pourrait être fini mardi, journée probable du vote.

La loi serait-elle encore utile ? David Lametti, ministre de la Justice, laisse entendre que oui. « La situation est fluide », a-t-il expliqué vendredi. Des barricades pourraient être érigées à nouveau à des postes frontaliers. Selon lui, cette loi d’exception aiderait à les démanteler.

En coulisses, on me dit que la police rapporte avoir désamorcé des plans de blocage à au moins un poste douanier.

Il reste que la Loi sur les mesures d’urgence n’est pas censée être invoquée à titre préventif. Elle doit répondre à une menace grave à la santé et à la sécurité. Un danger réel, et non présumé. Sans oublier que le pont Ambassador, reliant Windsor à Detroit, a été libéré par les policiers ontariens avant l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence. Ils n’en avaient donc pas besoin.

Le NPD voudra de meilleurs arguments. Son chef, Jagmeet Singh, a jusqu’ici eu une attitude responsable. Il a résisté à la tentation de faire des parallèles boiteux avec la crise d’Octobre, en 1970.

M. Singh s’est montré favorable au principe de la loi - une posture a priori étonnante pour un parti de gauche, qui s’explique par le fait que ce siège relève plus d’une tentative de détournement de la démocratie que d’une manifestation conventionnelle. Mais le chef néo-démocrate n’exclut pas de réviser sa position si la situation sur le terrain change.

Pour lui, c’est une situation ingrate. Face à un gouvernement minoritaire, l’opposition peut habituellement négocier un gain. Mais il n’y a pas de donnant-donnant ici. Juste un droit de veto, qui vient avec de lourdes responsabilités.

La loi a-t-elle été réellement utile face aux occupants d’Ottawa ? Oui, ont répété quatre ministres libéraux vendredi après-midi en conférence de presse.

Selon eux, elle a notamment permis de décréter une zone interdite au centre-ville, d’exiger que des remorqueurs déplacent les camions et d’imposer des peines musclées.

Ils n’ont pas donné plus d’informations, et cela se comprend.

Le gouvernement ne veut pas donner l’impression de diriger ou de commenter une opération policière. Surtout si elle est en cours.

Le chef intérimaire de la police d’Ottawa, lui, a été clair : la loi a facilité son travail.

Chose certaine, les Ottaviens entrevoient enfin un retour à la vie normale.

Chrystia Freeland, ministre des Finances, ajoute que la loi a servi de trois autres façons : pour bloquer des comptes bancaires sans mandat du tribunal, pour suspendre les assurances d’un camion utilisé dans le siège et enfin pour assujettir le sociofinancement et les transactions en cryptomonnaies au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada. Elle ne divulgue pas plus de détails, au nom de la confidentialité des dossiers.

Au Parlement, le gouvernement Trudeau devra toutefois faire une preuve différente. Sa tâche n’est pas de démontrer que la loi a été utile. Il doit plutôt démontrer qu’elle était et demeure légitime. Qu’elle répond aux critères prévus, soit contrer une menace grave face à laquelle les provinces sont impuissantes.

Le refus du Bloc n’est pas étonnant. Il relaie le consensus de l’Assemblée nationale.

François Legault n’est pas favorable à cette mesure d’exemption. Le manque de consultation en explique en partie les raisons.

La conférence téléphonique de Justin Trudeau lundi dernier avec ses homologues provinciaux avait été convoquée la veille vers 19 h 30. Les premiers ministres ne savaient pas qu’elle porterait sur la Loi sur les mesures d’urgence. Ils n’ont pas reçu de documents, ni de descriptions très précises pour cette mesure forte. Cela a surpris. D’autant qu’aucun d’entre eux ne l’avait demandée.

Quant aux conservateurs, ils sont difficiles à suivre. Leur cheffe intérimaire, Candice Bergen, a accusé Justin Trudeau de « diviser les Canadiens » avec cette loi. Comme beaucoup, j’ai critiqué la politisation libérale de la pandémie. Il reste que les conservateurs ont fait pire.

Même si les députés québécois ont été responsables, la faction trumpiste du parti, menée par Pierre Poilievre, a tout fait pour alimenter la crise.

Voilà où nous en sommes.

Peu importe ce qu’il restera du siège à Ottawa au début de la semaine, M. Trudeau devra préciser en quoi le maintien de la Loi sur les mesures d’urgence est nécessaire.

Et s’il veut enlever les « arguments » des occupants de la capitale, il pourrait présenter un plan de déconfinement, avec une date pour la fin de la vaccination obligatoire pour les camionneurs et les employés de l’État. Si la Santé publique est d’accord, bien sûr.

Cela ne calmera pas ses adversaires les plus radicalisés, mais ils crieront moins fort. Les gens qui croient encore à la démocratie pourront recommencer à débattre entre eux.