Du coup, Emmanuel Macron n’y va pas avec le dos de la fourchette.

« Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc on va continuer de le faire jusqu’au bout. C’est ça, la stratégie », a déclaré le président français lors d’une rencontre avec les lecteurs du Parisien.

Si c’est sa stratégie, elle est dangereuse.

À la décharge de M. Macron, il répondait à une infirmière exaspérée, et il a commencé son intervention en disant : « Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français [en général]⁠1. » Il reprenait ainsi une formule prononcée par Georges Pompidou en 1966.

Reste que peu importe le contexte, ce n’est pas un style à imiter. Sévir contre les non-vaccinés requiert du tact. Beaucoup d’entre eux refusent le vaccin parce qu’ils ne font pas confiance aux institutions. Les provoquer ne fera qu’aggraver le problème.

Bien sûr, rien faire n’est pas mieux.

Les non-vaccinés ont huit fois plus de risques d’être hospitalisés. À cause de cette minorité, les soins intensifs débordent, le personnel est épuisé et d’autres patients sont victimes du délestage.

La colère contre ces récalcitrants est vive. Ne rien faire, c’est perpétuer cette tension sociale. Il faut donc agir. Mais pas n’importe comment, et pas en disant n’importe quoi.

Des restrictions existent déjà, comme le passeport vaccinal. Québec s’apprête à le demander aussi dans les succursales de la SAQ et de la SQDC. Très bien, mais Postes Canada existe encore…

Que faire de plus ?

Daniel Paillé, ex-ministre péquiste et ex-chef du Bloc, propose un « vaccimpôt » pour que les non-vaccinés paient au moins une partie de leurs frais d’hospitalisation.

Claude Garcia, ex-sous-ministre adjoint au ministère des Affaires sociales du Québec et ex-militant adéquiste, suggère que les non-vaccinés cotisent davantage au Fonds des services de santé et au Régime d’assurance médicaments et que leurs primes d’assurances soient haussées.

D’autres idées suivront sans doute. Dans ce remue-méninges, il faudrait se demander ce qu’on cherche à faire. Punir les non-vaccinés ? Exiger qu’ils financent le système de santé ? Les inciter à recevoir une première dose ? Protéger les vaccinés et freiner la pandémie ? Ou rétablir un sentiment de justice auprès du reste de la population ?

Une partie des non-vaccinés semblent irrécupérables. Perdus dans leurs lubies, aucun argument ne les convaincra. Mais d’autres peuvent finir par changer d’idée, comme le prouve le cas de Guillaume Lemay-Thivierge.

L’extension du passeport vaccinal se justifie au nom de la protection du public. Certains le verront comme une privation de droits. Mais on peut aussi inverser le raisonnement. Son utilisation permet de redonner accès à certains services, comme les restaurants et bars. Entre une interdiction pour tous et une autorisation pour certains, le choix est facile. D’autant que cette mesure a deux mérites : protéger les vaccinés et inciter à la vaccination.

L’extension la plus logique du passeport vaccinal concerne le travail. Des employeurs le demandent maintenant pour accéder à leurs bureaux. Y compris de grands cabinets d’avocats comme McCarthy Tétrault. Cela doit donc se défendre juridiquement…

Et pour les employés qui perdent leur boulot, le gouvernement Trudeau songe à les priver des prestations d’assurance-emploi.

Imposer le passeport vaccinal dans d’autres lieux, comme les centres commerciaux, pourrait poser des problèmes pratiques d’application. Mais à tout le moins, pour le principe, cela se justifie.

Quant à la santé, c’est plus délicat.

Il serait immoral de ne pas soigner un non-vacciné. Cela contrevient aux chartes des droits, au code de déontologie des médecins et à la dignité humaine. Après tout, on soigne les conducteurs ivres et les agresseurs blessés durant leur attaque.

Demander de payer l’entièreté de la facture pose aussi des problèmes éthiques et pratiques. Par exemple, que fait-on si un patient est insolvable ?

Exiger une contribution additionnelle se défend mieux. Comme le rappelait M. Garcia, l’assurance automobile coûte plus cher pour les conducteurs ayant accumulé des points d’inaptitude. L’assurance maladie, une autre forme d’assurance collective, pourrait s’en inspirer.

L’idée demeure toutefois controversée. Le système de santé est financé par l’impôt, en fonction de la capacité de payer. Et non selon l’approche de l’utilisateur payeur.

Je reviens avec ma question : que cherche-t-on à faire exactement ?

Si c’est punir, cela ne freinera pas la pandémie. Si c’est mieux financer les soins, l’effet risque d’être marginal. Si on veut inciter les gens à se faire vacciner, j’avoue avoir de la difficulté à en évaluer l’impact.

Mais à tout le moins, l’idée a un mérite : rétablir la notion de responsabilité individuelle.

Il y a quelques décennies, la responsabilité individuelle impliquait encore un devoir face à la collectivité. Puis des politiciens de droite comme Ronald Reagan en ont rétréci la signification. Elle servait de prétexte pour couper dans le filet social. Sa philosophie : chacun doit se débrouiller.

En réaction, la gauche remettait en question la responsabilité citoyenne. Par exemple, un enfant qui grandit à Outremont, fréquente une école privée et suit des cours de natation risque d’avoir une meilleure santé qu’un jeune d’un quartier défavorisé.

Même si nos choix sont conditionnés par ces inégalités, les gens ne sont pas entièrement victimes du système. Une certaine liberté demeure.

Où se situe-t-elle ? À partir de quand rendre les gens responsables ? Il est difficile de tracer la ligne.

Le vaccin me semble toutefois être l’exception. Il est gratuit et facile d’accès. Et avec la pandémie qui s’éternise, il n’y a plus d’excuse pour le refuser.

C’est devenu une responsabilité. Face à soi-même, au sens étroit défini par la droite. Et face à la collectivité, au sens plus large donné par la gauche.

Avec la fétichisation des droits individuels, il est presque bizarre de parler de devoirs collectifs. La COVID-19 nous force pourtant à rétablir cet équilibre.

La réflexion sur les restrictions additionnelles à imposer aux non-vaccinés devrait s’appuyer entre autres sur cette conception de la responsabilité individuelle et collective. Ce serait un discours plus vendeur que de promettre d’emmerder le peuple.

⁠1 La citation complète du président Macron : « Ce que vous venez de dire, c’est le meilleur argument. En démocratie, le pire ennemi, c’est le mensonge et la bêtise. Nous mettons une pression sur les non-vaccinés en limitant pour eux, autant que possible, l’accès aux activités de la vie sociale. D’ailleurs, la quasi-totalité des gens, plus de 90 %, y ont adhéré. C’est une toute petite minorité qui est réfractaire. Celle-là, comment on la réduit ? On la réduit, pardon de le dire, comme ça, en l’emmerdant encore davantage. Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français. Je peste toute la journée contre l’administration quand elle les bloque. Eh bien, là, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc, on va continuer de le faire, jusqu’au bout. C’est ça, la stratégie. Je ne vais pas les mettre en prison, je ne vais pas les vacciner de force. Et donc, il faut leur dire : “À partir du 15 janvier, vous ne pourrez plus aller au restau, vous ne pourrez plus prendre un canon, vous ne pourrez plus aller boire un café, vous ne pourrez plus aller au théâtre, vous ne pourrez plus aller au ciné…” »

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