La récente campagne municipale m’a tenu occupé. Elle m’a aussi passionné par ses nombreux rebondissements. La place du français à Montréal m’a inquiété et continue de le faire. Et une poète m’a laissé avec un souvenir impérissable. Voilà à quoi pourrait ressembler l’année 2021 si je devais la résumer en quelques fragments. Les voici !

L’inspiration

Victor Pilon et le mythe de Sisyphe

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Victor Pilon à l’œuvre

Ceux qui ont vu la performance réalisée par Victor Pilon au Stade olympique ont tous été gagnés par un curieux mélange d’émotions. Nous en sommes ressortis à la fois médusés, troublés, mais surtout bouleversés. Pendant cinq semaines, à raison de six jours par semaine et sept heures par jour, l’artiste a déplacé inlassablement une montagne de sable de cinq tonnes. Cette performance artistique a été inspirée par le mythe de Sisyphe qui, après avoir commis l’outrage de défier Zeus et Thanatos, a été banni aux enfers et condamné à faire rouler sans relâche jusqu’en haut d’une montagne une énorme pierre qui en redescendait sans jamais atteindre le sommet. « Ce mythe, c’est la quête suprême du sens, c’est le silence déraisonnable du monde », m’a confié Victor Pilon, au mois d’août, alors qu’il se préparait à cette exigeante performance physique et mentale. Lors de la finale, le 27 octobre, plusieurs personnes qui étaient venues voir l’artiste plus d’une fois à l’œuvre l’ont applaudi à tout rompre. Les larmes ont coulé sur les joues. Il faut dire que cette performance était aussi un hommage à son conjoint qui a péri lors d’un accident tragique. Tous les êtres humains font face à l’absurdité de la vie. La pandémie qui nous frappe depuis maintenant presque deux ans exacerbe cette question. Victor Pilon nous a aidés à comprendre l’éternel recommencement que la vie nous impose. Son geste fut une grande inspiration.

Le fiasco

Sue Montgomery

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Sue Montgomery

Le feuilleton entourant la mairesse de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, Sue Montgomery, a monopolisé beaucoup d’attention et englouti des centaines de milliers de dollars en frais juridiques. La ténacité dont a fait preuve la mairesse de cet arrondissement populeux pour protéger sa cheffe de cabinet et tenter de se débarrasser de fonctionnaires qu’elle jugeait incompétents fut spectaculaire. Et presque convaincante. Malgré les nombreux revers (expulsion de Projet Montréal, sanctions de la Commission municipale du Québec (CMQ), départ de conseillers, etc.), Sue Montgomery n’a jamais lâché prise. Si elle a réussi à éviter les quatre mois de suspension imposés par la CMQ, elle a toutefois perdu son pari de se faire réélire. Les citoyens lui ont solidement montré la sortie lors des élections du 7 novembre dernier. La ténacité et l’acharnement ont été très présents dans cette affaire. Mais la démocratie a eu le dernier mot.

La surprise

Les jeunes en politique municipale

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Catherine Fournier, nouvelle mairesse de Longueuil

Avant même que la dernière campagne municipale ne commence officiellement, j’ai relevé qu’une nouvelle génération de politiciens municipaux sautait dans l’arène. La chose a été confirmée à quelques semaines du scrutin, mais surtout le soir des élections. Chose étrange, ce phénomène coïncide avec un taux de participation famélique lors du scrutin. Quel type d’équation peut-on faire ? Se pourrait-il qu’une bonne part des citoyens ne se retrouve plus dans cette génération qui a envie de faire de la politique municipale autrement, moins « asphaltiste », plus environnementaliste et démocratique ? Je le pense de plus en plus.

Peut faire mieux l’an prochain

La place du français à Montréal

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Rue Sainte-Catherine, au centre-ville de Montréal

S’il y a un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre au cours de la dernière année, c’est bien la place du français à Montréal. Symbolisée par le fameux « bonjour-hi » que nous assènent de nombreux employés de commerce, cette situation dramatique se joue sous nos yeux et nos oreilles entre la révolte de certains et l’indifférence des autres. Une fois de plus, la fragilité du français divise. Elle émeut ses défenseurs, elle exaspère les autres qui ont trouvé comme armes des phrases comme « l’anglais est la langue des affaires ». Ou ma préférée, « nous les jeunes, on ne connaît pas de frontières ». Pendant que l’Office de la langue française sonne l’alarme, la mairesse Valérie Plante et le ministre Simon Jolin-Barrette affirment qu’ils veulent protéger le français à Montréal. Mais dans les faits, quels gestes ont été faits pour venir à la rescousse d’une culture qui cherche son air ? Il faut attendre que le président d’Air Canada nous dise qu’il est tout à fait possible de vivre en anglais dans la métropole pour que l’on monte au créneau en scandant : « C’est effrayant ! C’est effrayant ! » Le temps passe. Je vois les gains perdus, le tapis qu’on tire sous nos pieds.

Le feu de paille

Denis Coderre

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Denis Coderre

Qui aurait dit que le retour de Denis Coderre, « dévoilé » en grande pompe à Tout le monde en parle, allait prendre une telle tournure ? Parti très fort dans les sondages, le politicien aguerri a ensuite dévalé la côte lentement et sûrement. Plus en forme que lors de la campagne de 2017, il a été un adversaire coriace pour Valérie Plante. Malheureusement pour lui, l’histoire du cellulaire au volant et la façon dont il s’est empêtré dans des explications plus ou moins probantes en ont poussé plusieurs à conclure que l’homme nouveau annoncé était finalement resté le même. Ajoutez à cela les tuiles que certains de ses candidats ont fait tomber sur sa tête. Il n’en fallait pas plus pour convaincre les électeurs montréalais qu’ils étaient rendus ailleurs. Et que, finalement, c’est eux qui avaient changé.

Le départ

Michèle Lalonde

PHOTO PIERRE MCCANN, ARCHIVES LA PRESSE

Michèle Lalonde en 1979

La mort de la poète Michèle Lalonde, auteure de Speak White, en juillet dernier a ramené à ma mémoire l’entretien que j’avais eu avec elle lors de la création de la pièce 887, de Robert Lepage, où il est question de son célèbre poème. Elle m’avait raconté comment elle avait écrit debout ce texte coup de poing. « J’ai souhaité me mettre dans cette condition. Je l’ai ensuite tapé à deux doigts sur une machine à écrire », m’avait-elle confié. L’année 2021 nous a fait perdre des géants : Raymond Lévesque, Serge Bouchard, Claude Jasmin, Jacques Lacoursière, Roch Demers, Michel Garneau et tant d’autres. Ces gens ont bâti notre histoire, ils l’ont racontée, magnifiée et décortiquée. Ils l’ont fait de la meilleure façon qui soit. Comme des poètes.

« speak white/tell us that God is a great big shot/and that we’re paid to trust him/speak white/parlez-nous production profits et pourcentages/speak white/c’est une langue riche/pour acheter/mais pour se vendre/mais pour se vendre à perte d’âme »