Après d’innombrables propositions rejetées et idées mortes au combat, quel sort attend le Silo no 5 et la Canada Malting, deux sites qui font partie du patrimoine montréalais ?

Leur avenir est un sujet qui revient régulièrement dans l’actualité. Les concepts se succèdent, puis s’effacent en nous laissant croire, chaque fois un peu plus, que le temps finira par avoir raison de ces cathédrales industrielles.

Je passe régulièrement devant ces lieux et je suis chaque fois divisé. Faisons-nous preuve d’acharnement thérapeutique à l’égard de ces bâtiments qui agonisent sous nos yeux, ou devons-nous tout mettre en œuvre pour les sauver ?

Avant d’assister au débranchement de leur respirateur artificiel, j’ai souhaité faire le point sur ces projets qui continuent d’animer des promoteurs, des citoyens bienveillants et, on le souhaite, les autorités municipales.

Depuis 2016, Noam Schnitzer, président de Renwick Development, défend un audacieux projet de transformation de la Canada Malting, cette ancienne usine située à Saint-Henri qui a fourni en malt pendant des décennies des entreprises comme Dow, Seagram, Labatt et Molson.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

La Canada Malting, à Saint-Henri, et sa maison rose

À l’abandon depuis 1985, le site est la propriété de Steven Quon. Les bâtisses et les silos, qui sont un repaire pour les amateurs d’exploration urbaine, sont devenus célèbres ces dernières années grâce à la présence de la mystérieuse petite maison rose érigée au sommet d’une tour.

Au fil des rencontres avec l’arrondissement du Sud-Ouest, la Ville et d’ardents défenseurs du patrimoine, le projet, appelé La Malterie, s’est transformé. Il prend aujourd’hui la forme de 165 logements familiaux écoénergétiques, une soixantaine de logements sociaux, 65 ateliers d’artistes, des espaces collaboratifs, des bureaux, une zone commerciale, une zone d’agriculture urbaine, un parc public, de même qu’un centre d’éducation pour enfants autistes.

Le promoteur souhaite également conclure une entente avec Parcs Canada afin d’obtenir un accès direct aux pistes cyclables qui longent le canal de Lachine.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE LA MALTERIE

La Malterie, projet de transformation de la Canada Malting, cette ancienne usine située à Saint-Henri

Les plans de ce projet, maintenant évalué à 120 millions, ont été élaborés par la firme Fischer, Rasmussen, Whitefield Architectes. « La Canada Malting a longtemps joué un rôle important dans ce quartier, dit Noam Schnitzer, fondateur de Renwick Development. Il est grand temps qu’elle joue un nouveau rôle pour la collectivité. Et je veux démontrer que le secteur privé peut faire ça. »

Noam Schnitzer, qui n’en est pas à son premier projet immobilier réalisé à partir d’un site patrimonial (Gillette Lofts, Southam Lofts), fait face à de gigantesques défis : celui de décontaminer le site et de restaurer des bâtiments devenus très fragiles, dont certains silos en terre cuite.

Il y a une détérioration très avancée qui nécessite une intervention immédiate. Plus le temps passe, plus on risque de perdre des éléments importants du site.

Noam Schnitzer, fondateur de Renwick Development

Le projet « avance bien », selon le promoteur. Une offre d’achat a été acceptée, et malgré « quelques complications avec le vendeur », Noam Schnitzer est persuadé qu’il pourra mettre la main sur ce site qui a toujours une vocation industrielle et commerciale. Un dézonage sera donc nécessaire.

Le concept de Renwick Development fait face à celui du collectif À nous la Malting ! Ce projet communautaire, évalué à 42 millions, rassemblerait du logement social, de même qu’un pôle alimentaire qui graviterait autour de l’agriculture urbaine.

Ce concept serait financé par des subventions et des prêts provenant des secteurs public et privé. À cela s’ajoutent des revenus réalisés par la location des logements et des espaces commerciaux.

Les membres du collectif sont très critiques face au projet de Renwick Development, qui, selon eux, ne répond pas aux critères fixés par l’arrondissement. Noam Schnitzer prétend au contraire que le projet de La Malterie répond à toutes les attentes. Le collectif aimerait que la Ville obtienne une mise en réserve du site, ce qui leur assurerait un droit acquis sur le terrain et les bâtiments.

« Le maire de l’arrondissement du Sud-Ouest, Benoit Dorais, refuse de le faire, dit Shannon Franssen, coordonnatrice du collectif. Et la mairesse Valérie Plante demeure molle. Ça nous déçoit. Pour nous, tout cela est mystérieux. »

Le projet de revitalisation des terrains de la Pointe-du-Moulin et du Silo no 5 s’étire lui aussi dans le temps. Comme beaucoup de gens, j’ai pensé qu’il était mort de sa belle mort. J’ai donc tenté d’en savoir plus auprès de la Société immobilière du Canada (SIC), responsable du site, et de Devimco, l’un des trois promoteurs ayant soumis une proposition. Car, écrivait mon collègue André Dubuc, en juillet 2019, c’est cette firme qui a été choisie par un comité de sélection.

À la SIC, on m’a dit que la complexité du site (proximité du chemin de fer, aspect patrimonial, exigences municipales) fait en sorte que le travail se poursuit encore avec la Ville de Montréal. Chez Devimco, on s’est contenté d’ajouter qu’une entente de confidentialité les empêchait de commenter.

Bref, 28 mois après le choix du projet, personne n’est en mesure de dire ce qui adviendra du Silo no 5 qui, depuis sa désaffectation en 1994, a vu défiler de nombreux concepts. Camping urbain, déménagement du Musée d’art contemporain, observatoire, hôtel contemporain, centre de stockage de données et aquarium ne sont que quelques idées débridées qui n’ont pas vu le jour.

Ces deux projets nous en disent long sur le travail de préservation et d’exploitation d’un lieu patrimonial dont l’apparence et la vocation initiale n’ont plus rien à voir avec notre époque.

L’extrême lenteur à laquelle vont les choses témoigne de notre grande prudence, des nombreuses étapes bureaucratiques qu’il faut franchir et des moyens limités dont nous disposons pour faire revivre ces lieux.

Espérons que lorsqu’il sera temps de passer aux actes, on ne découvrira pas qu’il n’y a plus rien à faire, comme cela est si souvent arrivé à Montréal. Pensez à la caserne 26 de l’avenue du Mont-Royal Est. Et aussi aux façades des immeubles qui se trouvaient à la place du Carré Saint-Laurent.

De mon côté, je souhaite ardemment ne pas vous parler d’un nouveau projet concernant le Silo no 5 ou la Canada Malting dans quelques années.