Ne fermez pas tout de suite votre téléviseur.

Le début de mandat du gouvernement libéral devrait être moins ennuyeux que son discours du Trône.

À prévoir : une bataille sur la santé avec le Québec et l’Ontario, et des maux de tête à cause du déficit et de l’inflation.

Deux longs mois après les dernières élections, Justin Trudeau a enfin remis le Parlement au travail. Aucune surprise dans les priorités formulées mardi.

Comme promis, son gouvernement promet d’interdire les thérapies de conversion ainsi que les manifestations des antivaccins à proximité des établissements de santé. Il veut aussi offrir 10 journées de congé de maladie aux travailleurs fédéraux. Et il prolongera les programmes d’aide liés à la pandémie, tout en resserrant leur accès.

Cela devrait l’occuper jusqu’au congé de Noël. Il devrait ensuite entamer l’année en déposant notamment des projets de loi pour imposer le rachat des armes d’assaut, pour forcer les géants du web à financer et à promouvoir la culture canadienne et, enfin, pour protéger les langues officielles en situation minoritaire.

Ceux qui écoutaient le discours avec une calculatrice auront remarqué qu’il comptait quatre fois plus de mots en anglais qu’en français.

Mais bon, la gouverneure générale, Mary Simon, dont la langue maternelle est l’inuktitut, fait déjà mieux que le patron d’Air Canada – après quelques mois en poste, elle a appris à prononcer des phrases dans la langue de Vigneault.

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Voilà pour le menu législatif à Ottawa. Mais le boulot le plus difficile se fera hors de la Chambre des communes. En santé et en économie.

Même s’il paraissait interminable – le temps est relatif, n’est-ce pas –, le discours du Trône était plus court que les précédents. Il était d’ailleurs surtout intéressant pour ses omissions.

Quelques passages obscurs portaient sur la santé et sur le coût de la vie. N’étant pas formé en divination, je n’ose pas trop les interpréter. Disons simplement ceci : ce sera compliqué.

En 2022, le Québec (octobre) et l’Ontario (juin) seront en élections. Les deux plus grosses provinces du pays devraient déposer un budget vers la fin de l’hiver. Elles devront chiffrer leurs déficits à venir. François Legault et Doug Ford n’ont pas envie de se faire accuser de préparer des compressions. Or, si Ottawa ne hausse pas le transfert en santé, ils devront faire des choix douloureux.

M. Trudeau maintient le flou. Malgré les pressions du Bloc, il refuse de dire quand se tiendra la prochaine rencontre avec les provinces.

Les libéraux veulent leur imposer de nouvelles normes. Il serait toutefois audacieux d’exiger de faire mieux sans financement additionnel.

En économie, ce sera aussi sportif.

Durant la campagne électorale, Justin Trudeau ne parlait pas d’inflation. Il a avoué « ne pas penser » à la politique monétaire. Elle relève d’abord de la Banque du Canada, justifiait-il. Reste que le mandat de la Banque doit être renouvelé dans les prochaines semaines. Faut-il lui demander de viser encore une inflation d’environ 2 % ? Doit-elle changer cette cible ? Ajouter d’autres objectifs, notamment en matière d’emploi et d’inégalités ? Si le premier ministre en a une idée, il le cache bien.

Pour freiner la hausse du coût de la vie, les libéraux s’en remettent à leur excellent programme pancanadien de garderies ainsi qu’à leurs promesses en logement. Vrai, la facture des parents diminuera, mais cela ne touche pas le Québec, qui a déjà son propre réseau. Et cela ne changera rien pour les Canadiens qui n’ont pas de jeune enfant.

Quant au logement, l’aide aux premiers acheteurs ne fera que stimuler la demande, et donc hausser les prix. La solution alimente le problème.

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Malgré son mandat minoritaire, Justin Trudeau est en relative position de force.

Les partis de l’opposition ont dénoncé l’inutilité des dernières élections. Ils n’oseront donc pas en provoquer de nouvelles. Le Nouveau Parti démocratique poussera M. Trudeau un peu plus à gauche. Et s’il ne veut pas trop s’y aventurer, il peut négocier avec le Bloc québécois.

Quant au Parti conservateur, il est en guerre contre lui-même. Son chef, Erin O’Toole, essaie de survivre aux assauts de sa petite minorité d’irréductibles conservateurs sociaux qui innovent chaque jour en matière d’autopeluredebananisation et autres immolations sur la place publique.

N’empêche que ce contexte favorable ne sera pas éternel. Car si on le regarde à la loupe, ce gouvernement commence à afficher des traces de rouille.

Il y a un an, les libéraux annonçaient plusieurs réformes ambitieuses. Leur nouveau mandat ne consistera plus à lancer de grandes idées. Il servira plutôt à les réaliser.

Dans plusieurs cas, ce sera laborieux. Par exemple, on ignore précisément de quelle manière les émissions des énergies fossiles seront plafonnées ou de quelle manière les subventions au secteur seront éliminées. Et la réconciliation avec les Premières Nations se constate plus dans la rhétorique que dans les gestes.

Le troisième mandat Trudeau consistera à concrétiser ces engagements. Mais après avoir tant promis, il est difficile de ne pas décevoir.

C’est ainsi qu’on mesure l’usure d’un gouvernement : en nombre d’espoirs déçus. La corrosion est un processus lent, mais irréversible.