La pénurie de main-d’œuvre n’est pas qu’une menace pour les employeurs. Elle pourrait aussi faire mal aux jeunes.

D’habitude, on y voit un avantage pour eux. Ils peuvent magasiner leur boulot et négocier leur salaire et leurs conditions. Tout cela est vrai. Mais il y a un éléphant dans la pièce : le risque de décrochage scolaire.

Selon les spécialistes, cela n’a rien de surprenant. La relation est connue : plus le chômage baisse, plus le décrochage tend à augmenter. Un jeune qui en arrache à l’école aura moins envie de persévérer s’il croise une pancarte « Talents recherchés – salaires compétitifs ! » chaque matin en descendant de l’autobus…

Est-ce cela qui se passe ?

Difficile à dire. Il manque de données récentes pour tirer des conclusions claires. Mais un début de tendance s’observe, et il n’est pas encourageant.

Le Québec revient de loin. Depuis les années 2000, le taux de diplomation augmente, et celui des jeunes qui quittent le secondaire diminue. Autre bonne nouvelle : le progrès est encore plus grand chez les élèves en difficulté d’adaptation et d’apprentissage.

Or, quelque chose s’est passé entre 2015-2016 et 2018-2019. Le pourcentage de jeunes qui sortent du réseau scolaire s’est remis à augmenter.

Certes, la hausse est très légère. À peine 1,2 point de pourcentage en moyenne, et 1,8 point de pourcentage chez les garçons. Rien de catastrophique.

N’empêche qu’il faut être vigilant. Il ne serait pas étonnant que cette hausse se soit poursuivie, pour deux raisons. D’abord, à cause de la pandémie, qui a particulièrement nui aux élèves en difficulté. Ensuite, à cause de la pénurie de main-d’œuvre, qui s’est intensifiée. Étudier était plus difficile alors que travailler devenait plus attrayant. Cela n’a pas pu aider.

C’est connu, plus une personne est diplômée, plus son revenu tend à être élevé. Mais ce qu’on dit moins, c’est que cet écart se creuse à cause du marché du travail qui repose de plus en plus sur les nouvelles technologies.

Pour un jeune de 17 ans, il est tentant de sauter sur un emploi bien payé. En ce moment, il peut même magasiner son boulot. Mais le contexte ne lui sera pas toujours favorable. S’il doit chercher un emploi dans 15 ans, sa formation limitée réduira ses choix.

La pénurie de main-d’œuvre et la faible productivité sont les grands défis économiques du Québec. Or, la solution au premier problème ne doit pas aggraver l’autre.

Comme je l’ai constaté en parlant à divers spécialistes, le sujet est délicat…

Pour hausser la productivité, la technologie n’est pas le seul moyen. La compétence des employés est également importante. L’Institut du Québec (IDQ) le soulignait d’ailleurs il y a quelques jours dans un excellent rapport.

Lisez le rapport de l’Institut du Québec

Le risque est que la formation se fasse surtout à l’embauche et qu’elle soit courte et limitée aux besoins immédiats des employeurs. Mia Homsy, PDG de l’IDQ, propose d’intensifier la formation des travailleurs en continu, de préférence en partenariat avec les établissements d’enseignement. L’État devrait même imposer cette condition avant de soutenir une entreprise, propose l’Institut.

Québec dévoilera sa mise à jour économique le 25 novembre. Je ne serais pas étonné que de l’aide soit annoncée pour que les entreprises forment leur personnel. Mais il faudra en surveiller les conditions. Car même si ces programmes sont essentiels, ils doivent s’adapter d’abord aux intérêts à long terme des employés et des jeunes.

L’université n’est pas pour tout le monde. Les diplômes professionnels et les attestations sont fort utiles. Si un jeune de 15 ans éprouve de vives difficultés à l’école, s’il rêve de travailler sur un chantier, alors on a tout à gagner à le diriger vers une formation professionnelle pour prolonger son lien avec l’école. Il est aussi normal d’adapter ces programmes aux particularités du marché du travail des régions.

Mais dans les coulisses, on craint que la pression du marché du travail incite à orienter vers cette voie des jeunes qui auraient autrement poursuivi un peu plus longtemps leur parcours scolaire.

Cette année, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a doublé les fonds pour le tutorat. Et il a annoncé un plan de « raccrochage scolaire ». Il injecte 13 millions de dollars pour que les centres de services scolaires embauchent un agent de liaison qui contactera les jeunes qui ont quitté l’école et qui pourra leur suggérer des cheminements spécialisés.

Les solutions doivent aussi venir de la base. Des centres de services scolaires (CSC) se démarquent avec un taux de diplomation nettement supérieur à la moyenne. Par exemple, au CSC des Découvreurs, à Québec, le taux de jeunes sans diplôme est trois fois plus faible que la moyenne provinciale.

Pourquoi une telle disparité ? Et pourquoi le réseau anglophone semble-t-il mieux faire ? Dans le contexte économique actuel, il y a urgence de reproduire les succès des meilleures écoles. Surtout pour les garçons.

On insiste avec raison pour défaire les préjugés et attirer plus de femmes à l’université en science, génie, technologie et mathématique. Mais il ne faudrait pas oublier qu’au primaire et au secondaire, ce sont les garçons qui doivent être aidés.

Et avec le risque de les voir partir trop tôt pour le marché du travail, c’est plus nécessaire que jamais.