Si la gestion du système de santé était un film, il se terminerait mal, avec cette conclusion : écœurez-les, et ils resteront chez eux…

C’est ce qui est arrivé avec les infirmières, qui refusent les postes à temps plein en raison des conditions de travail pénibles. Et c’est la recette que le gouvernement caquiste risque de reproduire avec les médecins de famille, avec son ton inutilement belliqueux.

François Legault dit avoir en main la liste des médecins qui « ne font pas un bon travail ». En fait, elle ne renseigne que sur la quantité d’heures travaillées, et non sur la qualité. Et elle peut inclure une personne de 69 ans qui prendra sa retraite si on la force à faire des semaines complètes.

Son ministre de la Santé, Christian Dubé, veut une solution négociée, pendant que M. Legault a avoué mardi à la période de questions qu’il ne « pens[ait] pas que c’est en négociant avec le syndicat qu’on [allait] y arriver ».

Le gouvernement caquiste a adouci le ton cette semaine. Il vise désormais une « minorité » de médecins de famille. Si c’est le cas, ces exceptions ne suffisent pas à expliquer pourquoi le nombre de Québécois en attente d’un médecin de famille a presque doublé depuis 2018.

Tout cela laisse une impression de désordre. Comme une mauvaise reprise de la guerre entre Gaétan Barrette et la Fédération des médecins omnipraticiens (FMOQ).

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Cela dit, le gouvernement caquiste a raison de parler des heures travaillées.

De 2006 à 2016, la rémunération des médecins spécialistes et celle des omnipraticiens ont bondi – respectivement de 116 % et de 78 %. Cette hausse était deux fois plus grande que celles des autres dépenses en santé. Chaque année, il restait donc proportionnellement de moins en moins d’argent pour les autres besoins.

Cela ne s’est pas traduit par un meilleur accès aux soins. Au contraire, le nombre de journées travaillées a légèrement diminué, de neuf par année.

Rien de nouveau jusqu’ici.

Nouveauté, Québec a récemment obtenu les chiffres pour chaque médecin. Il déplore que 40 % d’entre eux prennent en charge moins de 1000 patients et travaillent en moyenne 3,5 jours par semaine.

Ces données sont toutefois imprécises et difficiles à interpréter.

Québec a exclu de son calcul les gens en congé de maladie ou de parentalité ainsi que les septuagénaires. Mais d’autres biais demeurent.

Pour les patients pris en charge, on comptabilise les médecins ayant entre 3 et 15 années de pratique qui doivent travailler en partie en établissement (hôpital, CHSLD, etc.). Cela les empêche bien malgré eux de prendre en charge plus de gens.

Et en ce qui concerne le temps au travail, on ne distingue pas les 8 heures en cabinet des 24 heures passées aux urgences ou en obstétrique.

Bref, même si le problème existe, il semble moins aigu que ne le prétend Québec. Et surtout, je ne comprends pas en quoi il est opportun d’attaquer ainsi les médecins de famille. Ce ne sont pas des spéculateurs véreux ou des conseillers en évitement fiscal…

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La médecine familiale change. La profession se féminise et la nouvelle génération souhaite un meilleur équilibre travail-famille. Avec la crise démographique, on ne leur reprochera pas de peupler la nation.

Les médecins ne font pas pitié. Après tout, un prof peut difficilement choisir de passer trois jours par semaine en classe. Et même si c’était possible, son salaire ne lui permettrait pas de payer ses factures.

Cela dit, on peut bien s’engueuler tant qu’on veut, cela ne nous avancera pas.

Au lieu de chercher un coupable, il faut trouver des solutions.

Que faire ?

Personne ne propose de forcer les médecins à travailler plus. Québec évoque plutôt de pénaliser ceux qui ne travailleraient pas assez.

Il y a un risque d’effets pervers. Comme inciter des médecins à pratiquer au privé ou dans d’autres provinces grâce au télétravail, ou encore précipiter des départs à la retraite (14 % des omnipraticiens ont 65 ans et plus).

Avant de brandir le bâton, le gouvernement doit respecter sa part du contrat. Or, ce n’est pas le cas.

Le problème ne vient pas seulement des individus. Il découle aussi du système.

Comme le proposent des médecins sur le terrain, on pourrait mieux reconnaître les diplômes de leurs collègues étrangers, régler les pépins informatiques et alléger des tâches comme la paperasse ou les demandes des assureurs.

Et de façon plus structurante, les experts préconisent deux changements.

Le premier : modifier le mode de rémunération pour encourager les médecins à prendre plus de patients. À l’heure actuelle, l’essentiel de l’argent est affecté aux actes. Cela incite à voir plus de patients, avec toutefois des effets pervers : multiplication des actes non nécessaires, priorité donnée aux cas légers et au travail dans les cliniques sans rendez-vous.

Le second changement : déléguer plus d’actes à des professionnels comme les infirmières, pharmaciens et psychologues, et si possible de les faire rembourser par la RAMQ.

Ces deux réformes vont ensemble.

Cela commence déjà à se faire – les pharmaciens renouvellent neuf fois plus de prescriptions qu’en 2015. Mais la pénurie de personnel ralentit ce virage, et les omnipraticiens n’en sont pas responsables.

Bien sûr, M. Legault préconise ces deux réformes depuis la fondation de la CAQ. En ce qui touche la délégation de tâches, cela relève des ordres professionnels. Quant au mode de rémunération, cela exige une entente avec la FMOQ. En principe, elle se dit d’accord pour que ses membres soient davantage payés en fonction du nombre des patients pris en charge.

D’ailleurs, un accord était près d’être conclu à ce sujet avant la pandémie. Alors, pourquoi relancer les menaces ?

Aux dernières élections, M. Legault avait promis d’améliorer l’accès à un médecin de famille. De toute évidence, il n’y arrivera pas. Il vient de trouver un bouc émissaire.

Il a commencé son mandat en bombant le torse face aux médecins spécialistes. Cela s’était conclu avec un accord qui leur a finalement été favorable, avec un « Institut de la pertinence » qui ne fait pas grand-chose, selon la vérificatrice générale.

J’espère qu’on ne répétera pas ce psychodrame avec les omnipraticiens.

Le gériatre et ex-ministre de la Santé Réjean Hébert rappelait récemment dans Le Soleil cet avertissement que lui avait lancé Pauline Marois : « L’État ne gagne jamais face aux blouses blanches. »

Mais quand on s’y prend mal, il arrive que tout le monde perde.