« Cela a sauvé la vie de mon fils… »

Dans la voix de la mère, un mélange de reconnaissance et d’indignation.

Ce qui a sauvé la vie de son fils de 15 ans, c’est l’approche 180 de la Dre Julie St-Pierre, pédiatre spécialisée dans le traitement de l’obésité. D’où la reconnaissance.

Malheureusement, aussi salvateurs soient-ils, les soins pluridisciplinaires mis sur pied par la Dre St-Pierre vivotent. Faute de financement, trop d’enfants vulnérables n’y ont pas accès. D’où l’indignation.

Pourquoi laisse-t-on mourir ce qui sauve des vies ? se demande la mère.

Alors que la pandémie a exacerbé les problèmes d’obésité, la Dre St-Pierre et son équipe doivent s’en remettre à la charité pour offrir des soins essentiels à des jeunes qui en souffrent.

Comment l’expliquer ?

Au bout du fil, alors qu’elle rentrait d’une garde de 96 heures à Chicoutimi, la Dre St-Pierre me dit qu’elle ne se l’explique pas vraiment.

Juste avant la pandémie, après un cri du cœur de la pédiatre dans les médias, l’ex-ministre de la Santé et des Services sociaux Danielle McCann avait débloqué des fonds de 200 000 $ in extremis pour permettre à sa Clinique 180 de survivre. Mais ce n’était qu’un sursis. « Malheureusement, c’était du financement seulement pour l’année 2020. »

À partir du mois d’octobre 2020, il a fallu de nouveau sonner l’alarme. Faute de fonds, la Clinique 180 de Montréal était menacée de fermeture. Tout ça dans un contexte de confinement où des centaines de jeunes parmi les plus vulnérables – enfants vivant sous le seuil de pauvreté, réfugiés, jeunes en centres jeunesse ou soutenus par l’équipe du Dr Gilles Julien… – avaient plus que jamais besoin de son soutien. Entre janvier 2020 et janvier 2021, les demandes de consultation ont bondi de 800 %.

La pédiatre ne cache pas son amertume.

On a été obligés littéralement de couler. Le gouvernement nous a laissé choir. Chaque année, c’est la même chose. C’est un marathon perpétuel. Cela fait dix ans que j’amasse de l’argent pour être capable de donner des services de santé à des enfants qui en ont vraiment besoin.

La Dre Julie St-Pierre, pédiatre spécialisée dans le traitement de l’obésité

Appuyée par Québec solidaire, la Dre St-Pierre a lancé un énième cri d’alarme.

En vain. « La Clinique 180 est malheureusement morte à Montréal de sous-financement le 31 décembre 2020. Elle a peut-être été emportée par la pandémie. »

La Dre St-Pierre se désole qu’une autre pandémie – la pandémie d’obésité – ne soit pas prise suffisamment au sérieux par le gouvernement.

Pourtant, c’est très sérieux. « En 2019, l’OMS et l’OCDE avaient annoncé que l’on était devant la première génération d’enfants qui allait vivre moins longtemps et qu’il fallait investir massivement dans la prévention de l’obésité chez les jeunes. »

En dépit des avertissements, l’investissement massif n’a pas suivi. Ce qui ne nous fait économiser rien du tout. Plus on attend, plus les conséquences seront graves, tant pour la santé des gens que pour les coffres de l’État.

Cette négligence est facilitée par le regard que l’on porte sur l’obésité, constate la pédiatre. Un enfant qui souffre de cancer aura droit à de l’empathie et des traitements. Un enfant qui souffre d’obésité aura droit à des railleries et à du jugement. « Ce n’est pas une maladie noble dans notre société. Il y a beaucoup de préjugés. » On croit à tort que c’est un simple problème esthétique de gens qui ne se prennent pas en main.

Ce n’est pas banal ! En 2021, on intimide davantage les enfants à l’école sur la base de leur image corporelle que sur la base de leur orientation sexuelle, de leur religion ou de leur couleur de peau.

La Dre Julie St-Pierre, pédiatre spécialisée dans le traitement de l’obésité

Le fait que l’obésité ne soit même pas officiellement considérée comme une maladie au Québec n’aide en rien. Cela témoigne d’une approche dépassée alors que l’Organisation mondiale de la santé et la majorité des organisations médicales de référence reconnaissent que c’est une maladie chronique qui peut entraîner des complications très graves et qui réduit l’espérance de vie.

* * *

En attendant que le gouvernement agisse, la Dre St-Pierre et son équipe ont tenté de trouver une façon de continuer à offrir des services de qualité à des gens qui n’ont pas les moyens de se les offrir. À défaut de sauver sa clinique montréalaise, on a sauvé son approche pluridisciplinaire, reconnue comme la plus efficace et la moins coûteuse. On sait en effet que les traitements de l’obésité qui ont le plus de succès ne consistent pas qu’à prescrire des pilules. Il faut plutôt rassembler autour du patient toute une équipe qui lui offre un accompagnement intensif. La Dre St-Pierre a ainsi créé sa première Maison de Santé Prévention, comme il en existe en France, inscrite au registre des entreprises depuis avril 2021.

« La Maison de Santé regroupe des professionnels de la santé qui ont fait le choix de s’occuper de cette maladie avec sérieux, en combinant leur expertise en nutrition, en kinésiologie, en soins infirmiers, en soins médicaux pour ma part… »

La pédiatre a fait un don personnel de 150 000 $ pour pouvoir maintenir les services.

Les familles qui en ont les moyens paient les soins non couverts par l’assurance maladie. Pour les autres, on a mis sur pied un programme social.

Les professionnels acceptent qu’une part de leur salaire finance ce programme. La Dre St-Pierre, qui a publié Redonner la santé à toute la famille (Édito), y consacre aussi la totalité de ses droits d’auteur1. « C’est comme ça qu’on arrive à survivre. »

Survivre en espérant un jour vivre… Car même si le gouvernement me dit reconnaître l’importance de mieux soutenir les familles aux prises avec des problèmes d’obésité, pour l’heure, cela ne se traduit pas par des ressources suffisantes.

En dépit des efforts et du dévouement de la Dre St-Pierre et de son équipe, des jeunes dans le besoin sont abandonnés. La liste d’attente de leur programme social est interminable. « Malheureusement, à l’heure actuelle, il n’y a qu’une trentaine de familles vulnérables qu’on arrive à aider. Alors qu’avant, avec le financement public que l’on avait, on pouvait en aider plusieurs centaines. »

On dira sans doute qu’avec un système de santé à bout de souffle après 19 mois de pandémie, la prévention est un luxe que l’on ne peut pas se permettre. C’est pourtant tout le contraire. Selon l’OCDE et l’OMS, chaque dollar investi en prévention de l’obésité rapporterait au gouvernement un retour sur investissement de 560 % en cinq ans2.

Dire qu’il nous en coûterait trop cher d’aider tout le monde, c’est oublier que la négligence finit toujours par coûter plus cher encore. Que le droit à la santé des enfants est… un droit, justement, et non un luxe. Et que cette chronique d’une pandémie négligée est surtout la chronique d’une catastrophe annoncée.

Lisez l’article « Changer nos habitudes de vie pour aller mieux » Lisez la lettre de la Dre St-Pierre dans Le Devoir

Un enfant sur trois de moins de 5 ans est à risque d’embonpoint ou d’obésité au Québec

Source : Observatoire des tout-petits, 2017

340 millions : nombre d’enfants et d’adolescents de 5 à 19 ans en surpoids ou obèses dans le monde

Source : OMS, 2016