Toutes les feuilles d’automne sont les feuilles d’un long poème, poussé par le vent, au seuil de nos portes. La chanson des feuilles mortes.
C’est spécial, les feuilles mortes. C’est la seule chose morte qu’on laisse vivre autour de nous. Toutes les autres, on les enterre, on les cache. Il faut dire qu’elles ne nous laissent pas vraiment le choix, les feuilles. Elles font tout pour qu’on les remarque. Elles nous en font voir de toutes les couleurs. Avant de quitter leur branche. Comme un oiseau ne sachant pas voler, elles finissent par tomber. Emportées. C’est ça, l’automne : mourir en beauté. Parce que dans chaque feuille morte, il y a la promesse d’un été. Se pourrait-il que dans chaque âme expirée, il y ait la promesse d’une éternité ?
Ramassez une feuille sur le chemin, vous y lirez Verlaine :
Les sanglots longs des violons de l’automne
Blessent mon cœur d’une langueur monotone
Tout suffocant et blême, quand sonne l’heure,
Je me souviens des jours anciens et je pleure
Et je m’en vais au vent mauvais qui m’emporte
Deçà, delà, pareil à la feuille morte.
Ou Nelligan :
… Ma sérénade d’octobre enfle une voix funéraire à la lune
Au clair de lune.
On dirait que chaque arbre divorce avec sa feuille et son écorce
Sa vieille écorce.
Ah ! Vois sur la pente des années choir mes illusions fanées,
Toutes fanées !
Ou Hugo :
Quand l’automne abrégeant les jours qu’elle dévore
Éteint leurs soirs de flamme et glace leur aurore
Quand Novembre de brume inonde le ciel bleu
Que le bois tourbillonne et qu’il neige des feuilles
Oh ma muse ! En mon âme alors tu te recueilles
Comme un enfant transi qui s’approche du feu…
Chacun, autant que nous sommes, nous avons tous, en nous, un poème d’automne. J’attends le vôtre dans mon courrier. J’ose vous présenter le mien en premier. Je sais, après Verlaine, Nelligan et Hugo, c’est de la folie. Mais il faut être fou pour faire rimer son côté ombragé.
Il y a tellement de larmes
Que je n’ai jamais versées
Il y a tellement de larmes
Que je n’ai jamais pleurées
Les méchancetés des cours d’école
Les jours passés sans amour
Les deuils des compagnons de vol
Et les appels sans retour
Où sont allées toutes ces larmes
Que je n’ai pas versées ?
Où sont allées toutes ces larmes
Que je n’ai pas pleurées ?
Le cœur est une éponge
Qui les a toutes absorbées
Qui ne cesse de grossir
Sans jamais exploser
La pluie d’automne
Est pleine des peines
Jamais évacuées
La pluie d’automne
Est pleine des peines
Toujours gardées
Quand la taille des chagrins
Est trop grande
Pour passer par la faille
De notre armure
Alors il faut les écrire
Sur les feuilles qui tombent
Écrire, c’est pleurer
Lire, c’est consoler