La décision est tombée in extremis après 22 h mardi soir.

La vaccination obligatoire pour les travailleurs de la santé serait reportée d’un mois, au 15 novembre. Le lendemain, peu après l’aube, la convocation était envoyée aux médias.

Des patients et des professionnels du réseau de la santé sont découragés, et je les comprends. Mais leur frustration devrait être canalisée au bon endroit.

Les fautifs sont les employés qui refusent encore de se faire vacciner et ceux qui en ont fait trop peu pour les convaincre. D’abord, les syndicats, qui, depuis la commission parlementaire en août, tiennent un message ambigu à ce sujet. Et, dans une moindre mesure, les ordres professionnels, qui ont attendu à la dernière minute avant d’annoncer la révocation des permis de travail des non-vaccinés.

Seul le Collège des médecins a été proactif, en prévenant il y a un mois qu’un médecin non vacciné ne pourrait plus exercer sa profession. Pour les infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes, le message était moins clair. Jusqu’à la semaine dernière, leurs membres récalcitrants espéraient travailler à distance ou au privé à partir de l’entrée en vigueur de la vaccination obligatoire.

Cela dit, le revirement de M. Dubé étonne.

Je ne veux pas présenter comme étant prévisible une décision que je n’avais pas vue venir.

Le délai entre les deux doses de vaccin est d’un mois. Cela signifie qu’à la mi-septembre, Québec pouvait estimer le nombre d’employés qui ne seraient pas adéquatement vaccinés à partir du 15 octobre, et donc l’impact approximatif de leur suspension sur les soins. Malgré tout, le décret sur la vaccination obligatoire a été adopté au début du mois.

M. Dubé a reçu la semaine dernière les plans de contingence des CISSS et des CIUSSS, avec des projections par établissement et par département. La cellule de crise en est venue à l’évidence : le plan ne fonctionnait pas. Plus de 22 400 employés n’ont pas reçu leurs deux doses. Les services auraient été réduits de 35 % en CHSLD. Les soins à domicile auraient été affectés dans la moitié des régions, ce qui aurait incité encore plus de gens à se rendre aux urgences, là où les lits manquaient déjà.

S’entêter aurait été irresponsable. Certains ont parlé d’improvisation. J’y vois plutôt une gouvernance de crise. On s’ajuste en fonction du contexte, quitte à se contredire. Cela exige l’humilité. C’est mieux que l’entêtement orgueilleux.

Peut-être que M. Dubé voyait venir ce report sans oser le dire, de crainte de ralentir la vaccination des travailleurs encore hésitants. Si c’est le cas, cela rend inélégantes ses attaques contre le Parti québécois, qui s’inquiétait des ruptures de services.

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Il serait trop facile de crier à l’échec.

Ce serait oublier qu’à la suite de l’annonce de la mesure, le nombre d’employés non vaccinés du réseau a presque été réduit de moitié. À la fin du mois d’août, ils étaient 43 461. Il en reste maintenant 22 446.

Vrai, en reportant sa menace, M. Dubé risque de perdre en crédibilité. Mais dans ce cas-ci, la sanction aurait fait des victimes collatérales, les patients laissés sans soins. C’est à eux qu’il a pensé.

De plus, une partie de la punition est maintenue. Dès vendredi, les travailleurs non vaccinés perdront leur prime COVID, qui haussait leur salaire de 4 % à 8 %. Et bien sûr, ces gens seront testés tous les deux jours.

Malgré l’égoïste cri de victoire de leurs factions radicalisées, les antivaccins n’ont donc pas tout à fait gagné.

M. Dubé devra réévaluer la situation avant de confirmer l’entrée en vigueur de la vaccination obligatoire le 15 novembre. S’il recule une fois de plus, il ne sera plus pris au sérieux.

Comment croire que le portrait s’améliorera en seulement un mois ? Il mise sur l’administration de la troisième dose dans les CHSLD, la vaccination des 5 à 11 ans espérée pour novembre, la baisse du nombre de cas de COVID-19 et l’arrivée de renforts. Pour l’instant, un peu plus de 1000 professionnelles ont répondu à son appel. Un blitz de recrutement à l’étranger a aussi commencé, comme le rapportait mercredi Radio-Canada.

Ça pourrait bien aller, ou pas.

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Au-delà des ruptures de services immédiates, M. Dubé a dû être inquiété par l’accélération du cercle vicieux des conditions de travail.

La suspension des non-vaccinées aurait aggravé le recours aux heures supplémentaires obligatoires des infirmières, et donc augmenté les congés de maladie et les départs hâtifs à la retraite.

Le ministre croit pouvoir freiner cette spirale grâce aux nouvelles conventions collectives, qui viennent tout juste d’entrer en vigueur. Elles sont censées offrir le premier choix d’horaire aux employées du public, et non aux agences privées.

On verra bientôt si cela fonctionne, et je ne serais pas étonné que d’autres annonces viennent à ce sujet.

Le gouvernement caquiste ne voulait pas saboter son offensive de recrutement. Ni son discours inaugural prévu mardi prochain, qui lancera la précampagne électorale.

Mais tôt ou tard, il faudra sévir contre ces employés du réseau de la santé qui mettent en danger leurs collègues et leurs patients en refusant de se faire vacciner. Car, de toute évidence, ces gens ont choisi le mauvais métier.