Quand on veut souligner le début d’une campagne électorale, on écrit que « les hostilités sont lancées ». C’est une habitude. On tient pour acquis qu’une campagne doit être faite d’attaques, d’inimitié, d’animosité.

Denis Coderre et Valérie Plante n’échappent pas à cette pratique. Ils sont même très généreux dans le domaine. Nous en avons pour notre argent.

Il fallait les voir jeudi lors du débat organisé par Tourisme Montréal. En l’absence de deux autres candidats, Balarama Holness et Marc-Antoine Desjardins, ils ont eu un échange qui a commencé sur une note cordiale pour finalement adopter un ton vinaigré lorsque Valérie Plante a accusé son adversaire de « mentir » quand il affirme que Montréal risquait une décote des agences de notation.

« Je vous demanderais de faire preuve de dignité, madame la mairesse, a répliqué Denis Coderre. Avant de dire que quelqu’un ment, il faut commencer par comprendre c’est quoi, la gestion des finances publiques. »

Ces deux-là se détestent. C’est épidermique.

Peut-être parce que les candidats sont plus nombreux à s’exprimer lors des campagnes fédérale et provinciale et que les échanges s’en trouvent variés, j’ai le sentiment que les piques sont plus agaçantes entre les deux principaux adversaires de la campagne municipale.

Ces attaques durent depuis des mois, mais au cours des dernières semaines, les fameuses « hostilités » ont monté d’un cran. Valérie Plante qualifie, sans grande surprise, son principal adversaire de politicien « du passé qui n’a pas digéré sa défaite de 2017 ». Elle dit aussi qu’il est « en mode panique » et qu’il est un « pyromane qui joue au pompier ».

Celui qui a préféré se retirer après sa défaite plutôt que d’en découdre avec la mairesse en demeurant chef de l’opposition rétorque qu’il n’a « pas de temps à perdre à traiter les autres de noms ». Il répète ad nauseam qu’il « ne se présente pas contre Valérie Plante, mais pour Montréal ». Mais dans les faits, l’ancien maire de Montréal ne rate pas une occasion de décocher des flèches à sa rivale.

À l’émission Dans les médias, mercredi dernier, l’animatrice Marie-Louise Arsenault lui a demandé de regarder une image de Valérie Plante et de faire part des bons côtés et des mauvais côtés de la mairesse.

Du bout des lèvres, il a déclaré : « Mme Plante est quelqu’un de sympathique, mais des fois, ça ne paraît pas. On sent qu’elle a l’attaque personnelle facile. La première journée de la campagne, elle m’a attaqué personnellement. C’est une erreur. »

Il a ensuite dit, en commentant la photo, que la mairesse avait l’air « déterminée », mais que le sourire était « forcé » et « superficiel ».

Au même moment, la mairesse de Montréal lançait sa campagne devant une poignée de partisans où, entre deux brassées de fleurs qu’elle s’auto-envoyait, elle a dit de son adversaire qu’il « changeait d’idée comme on change de chemise ».

Bref, les deux principaux candidats de Montréal ont adopté une attitude combative qui connaît une escalade sans fin.

Est-ce parce que nous vivons une éprouvante pandémie et que nous émergeons d’une campagne fédérale ennuyeuse ? Toujours est-il que je trouve ces guerres de chiffres et de mots de plus en plus lourdes. Et je ne pense pas être le seul à trouver cela.

Pourquoi croyez-vous que la formule d’entrevues civilisées avec les candidats mise de l’avant par Radio-Canada lors de la dernière campagne fédérale a suscité autant de bonnes réactions ? Enfin, on entendait les idées de chacun avec le sentiment qu’on faisait confiance à notre intelligence et à notre jugement.

Valérie Plante et Denis Coderre sont incapables d’aborder les grands enjeux de la métropole (sécurité publique, itinérance, habitation, environnement, etc.) sans se balancer au visage des données contradictoires difficilement vérifiables (la chicane sur le financement de la police en est un bon exemple).

Quelques jours après le début de la campagne fédérale, mon collègue Henri Ouellette-Vézina a signé un article fort intéressant dans lequel des experts disaient que les attaques croisées entre candidats déplaisent de plus en plus aux citoyens.

Et vous savez pourquoi ? Parce que l’électorat rajeunit. Et les jeunes préfèrent qu’on leur parle des vraies affaires plutôt que d’être les témoins d’un insupportable procès d’intention qui prend forme à chaque point de presse.

Les « campagnes sales » qui semblent venir d’une autre époque ont fait leur temps, affirmait Jean-Jacques Stréliski, professeur de marketing de HEC Montréal.

Ces jeux d’attaques, on s’en rend compte, conforte la base électorale du candidat, mais ils n’aident pas vraiment les indécis à faire leur choix. On se demande alors pourquoi les politiciens se prêtent à ce jeu. Pour leur propre petite gloire ? Une partie de la réponse est là, à mon avis.

La politique est une jungle, aiment à dire les politiciens après avoir quitté cet univers. Je peux très bien concevoir que la politique, particulièrement lors d’une campagne, doive inclure une bonne part de critique. C’est la base même de la démocratie. Mais il y a une différence entre la critique et l’attaque.

Quand j’assiste à ces duels, je ne peux m’empêcher de me demander si cela cache quelque chose. J’ai soumis la question à Dominic Bourdages, de la firme de sondage CROP. « En effet, ça indique la limite de ce que l’on peut dire sur soi. Le candidat qui abuse de cela a souvent peu de choses à dire pour se vendre de manière distinctive. Il s’en prend donc aux défauts de l’autre. »

En marketing, lorsqu’une marque s’attaque directement à une autre, cela crée un malaise chez les consommateurs. C’est pourquoi les experts déconseillent aux entreprises de se lancer dans une telle opération. Mais en politique, les choses sont différentes.

« Le seul secteur d’activité où subsiste la publicité comparative ou la publicité négative sur le concurrent, c’est en politique, ajoute Dominic Bourdages. Il est difficile de savoir si cela permet de marquer des points. Ce que je peux dire, c’est que ça laisse, la plupart du temps, un arrière-goût. »

Il faut dire que la présence des réseaux sociaux (et l’influence de Donald Trump, maître incontestable de l’insulte) stimule davantage ces duels entre politiciens. Aujourd’hui, la moindre attaque est amplifiée, commentée et relayée par un public avide de ce genre de confrontations.

Winston Churchill (encore lui) disait que la politique est plus dangereuse que la guerre. À la guerre, tu ne peux être tué qu’une seule fois, alors qu’en politique, tu peux l’être plusieurs fois.

C’est sans doute pour cela que les politiciens dégainent à répétition. Et que des citoyens demeurent des spectateurs insatiables de ces combats.