« Si je vous découvre une grave maladie mais que je ne vous en parle pas, vous m’en voudriez, hein ? »

C’est la question que lance la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers dans une conférence TEDx percutante qui dit essentiellement ceci : parler des changements climatiques peut sauver des vies.

Alors qu’elle entamait ses études en médecine, il y a dix ans, la jeune femme a eu tout un choc en tombant sur un article de la prestigieuse revue médicale The Lancet datant de 2009 dont la conclusion était alarmante. Les changements climatiques constituent la plus grande menace à la santé du XXIsiècle, disait l’étude.

Pas une menace parmi d’autres. Pas une menace lointaine. Mais bien LA plus grande menace. Une question de vie ou de mort.

Comment se fait-il que cette grave menace s’accompagne d’un si grand silence ? s’est alors demandé Claudel Pétrin-Desrosiers.

Comment se fait-il que ce ne soit pas partout à la une ?

Excellentes questions…

Fait amusant, en faisant une recherche rapide dans la banque d’archives Eureka pour voir quel genre de couverture médiatique a été réservée à l’étude en question, je n’ai trouvé que deux mentions dans les médias québécois francophones en 2009.

La première se trouvait dans une chronique d’un certain Steven Guilbeault, directeur d’Équiterre à l’époque, que beaucoup voient aujourd’hui comme le prochain ministre de l’Environnement. Il rappelait alors au gouvernement Harper l’urgence « de mettre fin à son inaction crasse sur le front du climat ».

La deuxième mention se trouvait dans un article de François Cardinal, reporter à l’environnement et aujourd’hui éditeur adjoint de La Presse, qui soulignait que la hausse de morts liées aux canicules évoquée par The Lancet faisait partie des raisons justifiant la tenue de la conférence de l’ONU sur le climat de Copenhague.

Une décennie plus tard, après un autre été caniculaire et meurtrier qui a rappelé à ceux qui en doutaient encore que l’urgence climatique est bien réelle, la Dre Pétrin-Desrosiers, qui sera de la marche mondiale pour le climat ce vendredi, constate que même si l’on en parle davantage, il y a encore un trop grand écart entre ce que disent nos dirigeants et ce qu’ils font.

Bien que les engagements en matière d’environnement du gouvernement Trudeau n’aient jamais été plus ambitieux, pour l’heure, selon l’évaluation qu’en fait Climate Action Tracker, un organisme scientifique indépendant qui analyse l’action climatique des gouvernements, cela demeure « nettement insuffisant ».

Consultez l’évaluation de Climate Action Tracker (en anglais)

« Il y a encore des éléments de la discussion qui sont écartés ou minimisés ou que l’on n’aborde qu’en surface », observe la Dre Pétrin-Desrosiers. Elle cite par exemple la relation « complexe » du Canada avec l’industrie fossile et nos discussions mal avisées en matière de transport suggérant encore d’agrandir des autoroutes, bien que l’on sache que c’est nocif pour l’environnement et pour notre santé.

« On dit toujours : “Ah ! Mais l’économie…” Mais l’économie ne se fait pas sans personne pour la faire vivre ! En ce moment, cette économie-là, avec l’industrie des énergies fossiles, participe au décès d’une personne sur cinq à travers la planète. Je ne peux pas juste l’accepter et dire : “Ah ! OK, c’est un fait comme un autre. Passons à autre chose !” Ça ne concorde pas avec la vision que j’ai de la médecine et de notre rôle comme citoyens dans la collectivité. »

Comme médecin de famille au CLSC de Hochelaga-Maisonneuve, elle ne peut évidemment pas prescrire une pilule contre les effets des changements climatiques, même lorsque les effets meurtriers sont bien concrets pour ses patients. Mais comme présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement, elle s’efforce d’agir sur d’autres fronts, d’exiger encore plus d’ambition et de cohérence de la part de nos dirigeants toujours dans le même but : sauver des vies.

Ça peut sembler abstrait ou exagéré, dit comme ça. Mais ce ne l’est pas.

Prenez l’exemple des morts entraînées par les canicules au Québec.

On connaît la menace, rappelle la Dre Pétrin-Desrosiers. « Des chercheurs d’Ouranos estiment qu’il y aura 20 000 décès d’ici 2065 liés à la chaleur extrême au Québec. »

On connaît les solutions.

On sait très bien que le verdissement urbain est une mesure super efficace pour réduire les effets de la canicule. Ça ne coûte pas cher. C’est sain.

La Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, présidente de l'Association québécoise des médecins pour l'environnement

Et pourtant, il y a encore à Montréal de grandes inégalités dans la couverture végétale. Les quartiers les plus riches ont plus d’arbres. Les quartiers les plus défavorisés – que ce soit Hochelaga-Maisonneuve ou Montréal-Nord – souffrent d’un déficit en verdure qui finit par coûter des vies.

À la suite de la vague de chaleur qui a frappé Montréal à l’été 2018, la Direction régionale de santé publique de Montréal a analysé ce coût humain.

« Elle a établi qu’il y a eu environ 70 décès sur le territoire montréalais. Les gens qui vivaient dans des îlots de chaleur avaient un risque deux fois plus élevé de mourir des effets de la canicule que les autres ayant des risques de santé similaires. C’est une énorme différence ! »

Consultez le rapport

Malheureusement, la Dre Pétrin-Desrosiers ne peut pas prescrire des îlots de verdure à ses patients ou les sommer de planter un arbre devant leur appartement. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire.

« Il y a des politiques d’adaptation climatique très simples que l’on pourrait déployer beaucoup plus rapidement. Et pourtant, il y a encore une lenteur. »

Même si elle avoue être inquiète pour ses patients, elle n’est pas découragée pour autant.

« La question principale pour moi, c’est : que peut-on faire pour sauver des vies ? On sait que les politiques climatiques peuvent être bonnes pour la santé des gens si on les formule de la bonne façon. C’est ce qui me garde motivée. Parce qu’il y a encore un grand potentiel de sauver des vies, de veiller à ce que les gens soient en meilleure santé. C’est un super beau projet de société. »

Le plus beau et le plus urgent.

Regardez la conférence TedxUmontreal de la Dre Pétrin-Desrosiers