Depuis quelques jours, comme des milliers de gens partout sur la planète, je pense à elle. Où est Shamsia Hassani ? Comment va-t-elle ? Se trouve-t-elle dans un endroit sûr ? 

Depuis quelques jours, comme des milliers de gens partout sur la planète, je pense à elle. Où est Shamsia Hassani ? Comment va-t-elle ? Se trouve-t-elle dans un endroit sûr ?

Shamsia Hassani est cette jeune artiste afghane de 33 ans qui, depuis quelques années, s’empare des murs de Kaboul pour réaliser des œuvres bouleversantes. Mais surtout dérangeantes.

Considérée comme la première « artiste de rue » de son pays, elle peint à l’aérosol des personnages féminins sans bouche et les yeux mi-clos. La créatrice veut ainsi montrer que pour les femmes afghanes, la parole est interdite et l’horizon qui s’offre à elles n’offre rien d’inspirant.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE SHAMSIA HASSANI

Shamsia Hassani, artiste afghane, à Kaboul, en Afghanistan

Les femmes et les filles représentées par Shamsia Hassani ont toujours une allure fière. Elles semblent braver le danger et l’ennemi en s’agrippant parfois… à une fleur. L’artiste a une signature facilement reconnaissable.

Elle est aujourd’hui un exemple d’audace et de courage pour les femmes afghanes. Mais aussi pour beaucoup de gens. Ceux qui la suivent sur Instagram et Twitter se comptent par dizaines de milliers (elle a près de 250 000 abonnés sur Instagram).

Surnommée la « Banksy afghane », Shamsia Hassani est née en Iran de parents afghans. Sa famille est revenue vivre à Kaboul alors qu’elle était adolescente. C’est là qu’elle a étudié à la faculté des beaux-arts de l’Université de Kaboul. La jeune Shamsia a découvert un pays déchiré et meurtri, mais un pays dont elle s’est éprise avec passion.

Il y a quelques jours, sur Instagram, elle décrivait son amour pour ce peuple.

Pour la première fois, j’ai senti que j’appartenais à cette patrie. Je n’avais plus besoin de cacher mon identité. J’étais fière de dire que j’étais afghane et que l’Afghanistan était mon pays.

Shamsia Hassani, artiste afghane

Au milieu des années 2010, Shamsia Hassani s’est mise à réaliser des murales un peu partout dans Kaboul. Un style s’est imposé. Si ses représentations graphiques ont quelque chose de naïf, voire d’enfantin, les messages que l’artiste souhaite envoyer traduisent une position ferme et franche.

La soumission de la femme, la répression des talibans, la désolation d’un peuple écartelé entre l’impérialisme des sauveurs et la barbarie des fous de Dieu, tout cela apparaît dans ces œuvres que Shamsia Hassani, également professeure de dessin et d’anatomie à l’Université de Kaboul, réalise avec ses peintures en aérosol.

Depuis quelques jours, ses amis et ceux qui la suivent sur les réseaux sociaux sont inquiets. Ils se demandent si l’artiste a pu fuir l’Afghanistan ou si elle se terre quelque part à Kaboul. Certains pensent qu’elle aurait réussi à quitter sa ville pour les États-Unis, car dans un message publié le 31 août, elle a ajouté les mots-clics #homeless et #migration.

Plusieurs médias européens tentent de savoir où se trouve Shamsia Hassani. Dans le quotidien londonien Daily Mail du 4 septembre dernier, on s’interrogeait sur son sort. Des admirateurs lui demandent régulièrement si elle va bien. Mais sans doute pour des raisons de sécurité, la jeune artiste évite de répondre à ces questions. Le 21 août, elle écrivait toutefois : « Merci pour vos messages et merci de penser à moi. »

L’artiste n’a plus accès aux murs de Kaboul, mais elle continue de s’exprimer en publiant des dessins sur les réseaux sociaux. Le 28 août dernier, elle a dévoilé une œuvre où l’on voit une fille couverte de taches de sang. Elle a voulu illustrer le drame qui s’est joué pendant des jours à l’aéroport de Kaboul. Au bas de l’illustration, elle a écrit : « Ils tuent des gens qui veulent fuir les talibans. Le cauchemar ne finit jamais. »

IMAGE TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE SHAMSIA HASSANI

Dessin représentant un dollar américain

Il y a aussi eu la photographie d’un dessin représentant un dollar américain. On y voit un personnage féminin qui entrouvre le billet de banque à la manière d’un rideau duquel s’échappe un avion. Et celui également d’une femme transportant une fenêtre. Shamsia Hassani a ajouté : « La fenêtre de notre maison. »

Shamsia Hassani a déjà exposé aux États-Unis, mais aussi en Europe et au Canada. En 2017, elle faisait partie d’une exposition (Traces of Words – Art and Calligraphy from Asia) rassemblant six artistes, présentée au Musée d’anthropologie de l’Université de la Colombie-Britannique.

Elle est aussi l’une des 400 artistes qui ont accepté de transformer une paire de « sneakers » de marque Jordan en œuvre d’art. On peut voir son travail depuis mercredi à la galerie Sakura, à Paris.

Au cours des dernières années, des médias comme The Guardian et HuffPost lui ont consacré de grands articles. Elle représente la génération qui tente de faire revivre l’Afghanistan. Le 19 août dernier, le journal français L’Humanité y allait d’un grand portrait de cette artiste qui se bat pour offrir l’image d’une femme afghane insoumise. Envers et contre tous.

Shamsia Hassani est très connue chez elle. Elle l’est de plus en plus au sein du milieu de l’art. Il suffit de lire les messages qu’on lui envoie pour comprendre qu’elle est en train de devenir l’un des symboles forts du drame qui frappe les Afghans, en particulier les femmes.

Il est important que son travail soit connu et relayé par le grand public. Shamsia Hassani ne peut plus peindre les murs de Kaboul. Mais elle peut encore créer et dénoncer avec son art. Elle peut le protéger comme on n’a pas pu faire avec les bouddhas géants de Bāmyān.

Quant à nous, le mieux que l’on peut faire est de propager le fruit de son crayon, l’arme la plus redoutable des artistes.