La question est venue tôt dimanche soir à l’émission spéciale de Radio-Canada avec les cinq chefs.

Justin Trudeau regrette-t-il d’avoir déclenché des élections ?

Bien sûr qu’il a répondu « non ». Mais à tout le moins, il doit commencer à avoir de petits doutes.

Les libéraux sont désormais à égalité statistique avec les conservateurs, autant dans les intentions de vote que dans les projections de sièges. Selon l’agrégateur de sondages 338Canada, au début de la campagne, M. Trudeau avait 90 % de chances de garder le pouvoir. C’est maintenant une élection à pile ou face. Et dans une course aussi serrée, l’avantage va habituellement au parti en ascension.

À quelques jours du premier débat des chefs, les gens suivent encore la campagne à une distance très sécuritaire… Le chef libéral a un peu de temps pour appliquer les freins et renverser la tendance. Mais la descente pourrait aussi s’accélérer.

L’émission spéciale a rappelé la situation difficile dans laquelle M. Trudeau a choisi de se plonger. Son dernier budget contient des engagements massifs de 100 milliards en trois ans. Puisque ce programme n’était pas menacé, il doit trouver d’autres promesses pour justifier les élections. Car faire d’une campagne un référendum sur sa personne n’est jamais une stratégie gagnante. Surtout pas après six années au pouvoir.

Le chef libéral doit aussi défendre sa gestion de deux crises complexes, la COVID-19 et l’Afghanistan. Il ne les a pas créées et il ne peut rien faire de mieux que minimiser les dégâts. Mais à en juger par le chaotique rapatriement des Afghans de Kaboul, nombreux sont ceux qui estiment que le pire aurait pu être évité.

M. Trudeau aurait préféré être face à ses adversaires. Il préconise la stratégie de l’épouvantail : se dire plus pragmatique que les néo-démocrates et plus progressiste que les conservateurs.

La seule consolation pour lui, c’est que l’émission n’était pas écoutée dans le Canada anglais.

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Erin O’Toole aurait sans doute aimé parler plus d’économie. Il a surtout dû se défendre sur son talon d’Achille, l’environnement.

Le chef conservateur assure qu’il respecterait l’accord de Paris. En fait, l’entente exhorte les pays à renforcer leurs cibles tous les cinq ans. M. O’Toole promet au contraire de les affaiblir. Son plan consiste notamment à freiner la taxe carbone, promouvoir le projet Northern Gateway et instaurer un « compte d’épargne vert » qui se remplirait en consommant du pétrole.

PHOTO IVANOH DEMERS, FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Erin O’Toole, chef du Parti conservateur

Le chef conservateur a été questionné sur l’avortement et l’aide médicale à mourir. Il n’a pas voulu dire s’il nommerait comme ministre de la Santé une personne non vaccinée.

Plus la campagne avancera, plus ses rivaux dénicheront les bourdes de candidats et députés d’arrière-ban, comme l’Ontarienne Cheryl Gallant, qui croit que la lutte contre les changements climatiques serait un prétexte pour reconfiner la population.

M. O’Toole le sait, les environnementalistes ne voteront jamais pour lui. Son plan vise moins à séduire qu’à ne pas décourager les électeurs qui aiment le reste de son programme.

Et pour les relations internationales, les finances publiques et plusieurs autres sujets, sa discipline le place en bonne position.

« Je suis un nouveau chef et je vais avoir une campagne positive chaque jour », répète-t-il. Un peu comme M. Trudeau en 2015.

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Yves-François Blanchet n’a pas dû être très déstabilisé qu’on lui reproche de ne pas parler assez d’indépendance. S’il le faisait trop durant la pandémie, on l’en accuserait.

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Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

Il est tout de même étonnant de voir l’évolution du Bloc, de petit frère du Parti québécois à défenseur des consensus de l’Assemblée nationale, puis récemment courroie de transmission du gouvernement caquiste depuis 2018.

M. Blanchet pourrait rétorquer que ses troupes font leurs propres propositions, comme au sujet de l’aluminium et du bois. Reste que son parti est surtout spécialisé dans le judo.

Habile débatteur, le chef bloquiste veut surtout semer le doute au sujet des autres chefs, pour se positionner ensuite comme celui qui pourra les surveiller. Et il parle de plus en plus d’Erin O’Toole…

La formule un chef-trois intervieweurs a permis aux candidats anglophones de s’exprimer dans un français très correct. Dans les débats, avec le chrono devant leurs yeux et les cris de leurs rivaux, leurs réponses pourraient devenir imprécises. Et c’est M. Blanchet qui risque d’en profiter. À condition de mettre la pédale douce sur l’arrogance.

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Jagmeet Singh était détendu et charismatique. Avec le cœur à la bonne place, comme toujours. Mais il est plus à l’aise à parler des principes que des moyens pour les atteindre, comme on l’a vu avec les soins aux aînés.

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Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Il ne semble pas faire la distinction entre les réseaux privés conventionné et non conventionné, ni savoir que le réseau public n’est pas tout à fait un modèle. Nationaliser ne réglera pas tout. Surtout pas en l’imposant aux provinces.

Le chef néo-démocrate a raison, les Québécois veulent des résultats, et non des chicanes de compétences. Mais il existe peu d’experts croyant que le réseau de la santé souffre d’un manque de centralisation…

L’interview avec la chef du Parti vert, Annamie Paul, a toutefois bien fait paraître M. Singh. Son programme environnemental ressemble à un brouillon du NPD. Elle peine à en expliquer la différence.

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Annamie Paul, cheffe du Parti vert

Et elle n’était même pas capable de répondre à une question simple sur la vaccination obligatoire. Quand un tiers parti qui se veut la conscience morale du Parlement ne réussit pas à se positionner sur un tel enjeu, on peut se demander à quoi il sert.

Quant aux conservateurs, bloquistes et néo-démocrates, même s’ils dénoncent cette campagne, ils ne doivent plus la trouver tant inutile. Car le tapis sous leurs pieds commence à bouger.