« Je suppose que tu as couché avec le prof pour ta maîtrise comme beaucoup de filles qui ont provoqué… »

« Crisse de woke… » « Féministe enragée… »

Ce ne sont que quelques-uns des charmants commentaires que m’a valus ma chronique critiquant le repêchage par le Canadien de Logan Mailloux, reconnu coupable d’un crime à caractère sexuel.

Il m’arrive parfois d’évoquer les messages haineux, misogynes ou racistes que je reçois à la suite de mes chroniques. Ce qui choque mes lecteurs pour toutes sortes de raisons. Chaque fois que j’évoque cette violence, des gens s’inquiètent pour moi. Certains s’imaginent que je ne reçois que ça.

Je vous rassure : ce n’est pas du tout le cas. On parle heureusement d’une minorité. Bruyante, mais peu représentative.

Pourquoi en parler, alors ? Parce que même si on parle d’une minorité, le phénomène demeure inquiétant. Si vous croisez dans la rue neuf personnes courtoises et qu’une seule vous donne un coup de poing à la figure, ça reste un geste violent et gratuit qu’on ne peut pas banaliser en se disant qu’il est minoritaire.

Je sais fort bien que je ne suis ni la seule ni la plus à plaindre. Et c’est bien là le problème. Cela n’a rien d’anecdotique. Des études ont montré que les femmes qui prennent leur place dans l’espace public, que ce soit comme journaliste ou politicienne, sont visées de façon disproportionnée par la violence et la désinformation en ligne. Un phénomène virtuel qui a de graves conséquences sur la vie réelle, poussant certaines voix à s’autocensurer, d’autres à carrément s’éteindre.

J’en parle donc parce que, même si je m’y suis personnellement habituée d’une certaine façon, même si je me suis forgé avec le temps une solide carapace, je trouve que c’est malsain de s’y habituer.

Ça m’inquiète que certaines voix s’effacent pour se protéger contre cette violence. Tant que ce sera le cas, il faudra mettre en lumière le problème afin d’exiger d’autres solutions que l’autocensure ou le silence.

Cela dit, comme je l’écrivais d’entrée de jeu, chaque fois que j’évoque cette violence, des lecteurs s’inquiètent pour moi. La dernière fois, j’ai reçu plus de 300 messages, tous plus gentils les uns que les autres.

J’essaie autant que possible de répondre à mes lecteurs. Mais depuis le début de la pandémie, j’ai été tellement submergée de messages de toutes sortes que j’ai eu l’impression de perdre plus que jamais le contrôle de ma boîte de réception. Je l’ai vue déborder jour après jour d’appels à l’aide désespérés, de témoignages de détresse, de propositions de toutes sortes se mêlant aux commentaires – le plus souvent tout à fait civilisés, même lorsque les lecteurs ne sont pas d’accord avec moi.

Cela dit, quand ça rentre à coups de 300 ou 400 messages par jour, c’est vraiment impossible de répondre à tous, à moins de ne faire que ça jour et nuit.

Alors que je m’apprête à prendre des vacances, je voulais m’excuser auprès de tous ceux à qui je n’ai pas pu répondre.

Je voulais vous dire, à vous tous qui avez eu la gentillesse de m’écrire de bons mots, que chaque fois, vos messages me touchent et me donnent à réfléchir.

J’estime, en fait, avoir le meilleur lectorat du monde. À la toile de haine qui se tisse trop souvent dans les réseaux sociaux, ce lectorat oppose un filet bienveillant, qui casse le cynisme ambiant.

Un exemple parmi mille ? Après une chronique sur Mamadi Camara, l’étudiant de Polytechnique victime d’une terrible bavure policière, de nombreuses lectrices, touchées par son histoire, m’ont écrit pour proposer spontanément leur aide à M. Camara et à sa conjointe, qui s’apprêtaient alors à avoir des jumeaux.

« Devant tant de souffrance, je ne peux rester passive. Comment puis-je offrir mon soutien à la famille de M. Camara ? », m’a écrit Lyne, dont l’un des fils est aussi étudiant à Polytechnique.

Pour que la famille Camara puisse souffler un peu, cette lectrice a offert de lui livrer une soupe-repas par semaine pour quelques mois. « Je pourrais aussi leur prêter notre berceau familial fait par mon beau-père avec le bois de la forêt de mon père. »

C’est ainsi que de cet élan du cœur, que je n’ai fait que relayer, est né un précieux lien d’amitié. Mamadi Camara en a été très ému.

Autres exemples ? Souvent des lecteurs, quand ils voient que j’aborde un sujet clivant qui me vaudra sans aucun doute des messages haineux, m’envoient de bons mots préventifs.

Une fois, j’ai écrit que je détestais l’hiver, car j’ai un problème de circulation qui fait en sorte que j’ai toujours froid aux mains… Une lectrice m’a tricoté des couvre-mitaines et me les a envoyées !

Tout ça pour dire que mes lecteurs sont souvent comme des couvre-mitaines, tant pour moi que pour les gens dont je raconte l’histoire.

À l’arrière-scène, sans faire de bruit, ils tricotent et me gardent au chaud même quand le fond de l’air est froid.

À vous tous, merci.