Vendredi, 7 h du mat, je suis devant la télé. C’est tôt. C’est Tôtkyo. Là-bas, il est 13 heures plus tard que chez nous. Ça veut dire que dimanche, quand le Canada, à 14 h 30, heure locale, affrontera le Japon au softball, il sera 1 h 30 du matin, dans notre fuseau. Quand s’obtiendra une médaille d’or au tir à l’arc, à 16 h 40, heure locale, il sera 3 h 40 du matin, dans notre fuseau. Et quand les nageurs plongeront dans la piscine, à 19 h, heure locale, il sera 6 h du matin, dans notre fuseau. Êtes-vous prêt pour les Jeux de l’insomnie ?

Déjà que pour le sportif de salon, les Jeux olympiques sont l’épreuve ultime. Plus de deux semaines de compétitions, 15 heures par jour d’action. Le Super Bowl, ce n’est rien à côté de ça. Il faut être en forme pour suivre les Jeux olympiques. Heureusement qu’on ne se fera pas tester pour l’usage de substances qui aident à rester réveillé.

Bien sûr, pour ne pas perturber vos habitudes de sommeil, vous pouvez toujours choisir de les vivre en différé. Regarder les résumés durant votre verticalité. Mais regarder du sport, quand on sait déjà le résultat, c’est pire que regarder District 31 en sachant qui va mourir. Le théâtre de l’effort physique, ça se vit en direct, dans l’espoir d’une victoire, dans la peur d’une défaite.

Les cérémonies d’ouverture sont commencées. Devant un public invisible. Invisible comme le virus qui est toujours là. Ce sont les Jeux de Tokyo de 2020, même si on est en 2021. Ils devaient avoir lieu l’an dernier. On a mis du temps avant de les annuler. On laissait croire que tout se passerait comme prévu. Comme si la COVID-19 allait respecter la trêve. Puis la raison a parlé. On les a reportés, à un an plus tard. C’est sûr que ça allait être réglé. Un an plus tard, ça fait beaucoup de Défi 28 jours.

Nous voilà un an plus tard, et la planète est toujours masquée. On habite tous en pandémie. La grande majorité des Japonais aurait préféré que les Jeux n’aient pas lieu. Il faut les comprendre. Pendant qu’ici, nos frontières sont fermées, eux accueillent le monde entier. Pas pour un ti-party. Pour un méga-party. Un méga-party, auquel ils ne peuvent même pas assister. Ils doivent le regarder à la télé. Comme nous. Mais nous, ça ne nous a pas coûté 20 milliards.

Ajoutez les scandales de dopage et les tensions olympiques… On a beau savoir tout ça, quand la fête commence, on se laisse prendre aux Jeux. Parce que l’utopie est trop belle : la jeunesse universelle qui montre ce qu’elle fait de mieux. C’est merveilleux, c’est même mieux, c’est émerveillant !

Sièges vides obligent, le spectacle est plutôt sobre. Efficace et sobre. De toute façon, le moment le plus réjouissant, c’est quand les athlètes de tous les pays défilent. Ils sont là, à envahir le stade, leur téléphone mobile à bout de bras. D’habitude, ils filment la foule, aujourd’hui, ils se filment eux-mêmes. Une manifestation mondiale intime, c’est ce que nous apprêtons à vivre.

La Russie n’a pas défilé, puisqu’elle est bannie des Jeux pour cause de tricherie, mais le COR, lui, a défilé. Le COR, c’est le Comité olympique russe, composé de 325 athlètes russes. Aux Jeux olympiques, on ne joue pas seulement sur le terrain, on joue aussi sur les mots.

Parlant de mots, ce qui réjouit toujours un Québécois, durant ces cérémonies officielles, c’est la place du français. Toutes les communications commencent dans la langue du baron Pierre de Coubertin. Hâte que Toronto obtienne les JO pour entendre enfin parler français là-bas.

Certains remettent en question le mouvement olympique. Trop corrompu, trop dispendieux, trop haut, trop vite, trop fort. Vrai. Il faut le purifier, mais jamais le détruire. Combien de fois les yeux du monde regardent ensemble, au même moment, du beau et du bon ? Normalement, ce qui attire notre attention collective, ce sont toujours des guerres et des catastrophes. Du cyclisme, du plongeon, de l’aviron et du surf, ça fait changement.

Bon, l’horaire ne sera pas évident pour les athlètes du La-Z-Boy que nous sommes. Voyons le bon côté, les Jeux olympiques d’été demandent un confinement volontaire, souvent en conflit avec le beau temps. Or, entre 11 h et 23 h, il ne se passera rien ou à peine. On ne perdra pas d’ensoleillement. Mais beaucoup de sommeillement, entre 23 h et le petit matin.

Bons Jeux ! En espérant que nos athlètes ramènent plus de médailles que de variants.