Permettez-moi de douter que la « loto-COVID » fasse augmenter significativement le taux de vaccination au Québec. Pour une raison bien simple : elle vise toute la population pour en inciter seulement une petite partie à passer à l’acte.

Je comprends que Christian Dubé veuille prendre tous les moyens pour augmenter la vaccination et atteindre la fameuse immunité de masse qui étoufferait la COVID-19.

Je comprends aussi que le taux de vaccination souhaitable pour atteindre cette immunité collective ait augmenté depuis l’apparition de variants beaucoup plus contagieux que l’original, notamment le Delta. Maintenant, la proportion de la population qui devrait être vaccinée excède 80 % et même 90 %, alors qu’on a souvent parlé de 75 %.

Mais voilà, à ce jour, 6,2 millions de Québécois de 12 ans et plus ont reçu au moins une dose, et il en reste donc environ 1,3 million à convaincre. Et encore, pour atteindre un objectif de 85 %, par exemple, cette proportion à convaincre recule à environ 1 million.

Bref, ne serait-il pas préférable de concentrer tous nos efforts sur ce million d’individus ? De mettre le paquet pour les convaincre, en temps comme en argent ?

Bien sûr, il aurait été politiquement impensable de restreindre l’admissibilité à la loto-COVID aux seules personnes non vaccinées. Par principe, on ne pouvait pas récompenser, par des prix totalisant 2 millions de dollars, les seules personnes non vaccinées, au détriment des Québécois qui ont agi avec célérité.

La perception d’injustice aurait soulevé la grogne populaire, même si, au bout du compte, chacun de nous bénéficie grandement de la vaccination des autres. Et même si des millions de dollars des gouvernements sont actuellement dépensés – quoiqu’autrement – pour rejoindre les retardataires et les récalcitrants.

En Alberta et au Manitoba, des loteries semblables visent d’ailleurs elles aussi toute la population plutôt que seulement la portion qu’il faut convaincre.

Mais la question se pose : le concours fera-t-il vraiment augmenter le taux de vaccination ? Pour les adultes, la probabilité de gagner 150 000 $ chaque semaine du mois d’août, ou encore 1 million de dollars le 3 septembre, sera possiblement de 1 sur 6 millions, en supposant que tous s’inscrivent. Ce qui donne 0,000017 %.

Il est un peu tôt pour en juger, mais tout de même, depuis l’annonce du concours au Québec, le vendredi 16 juillet, on n’a pas vu de cohue dans les centres de vaccination, au contraire. On est loin de l’afflux constaté en France après l’obligation du passeport sanitaire annoncée par le président Emmanuel Macron pour plusieurs activités courantes.

Aux États-Unis, une loto-vaccin dans l’État d’Ohio n’a d’ailleurs pas eu pour effet d’accroître le taux de vaccination quotidien, constatent des chercheurs de l’École de médecine de l’Université de Boston.

Consultez l’étude sur l’effet d’une loto-vaccin en Ohio (en anglais)

Peut-être aurait-il été préférable de cibler une tranche de la population pour augmenter le taux de succès. Le concours québécois, pour diverses raisons, cible d’ailleurs distinctement les jeunes de 12 à 17 ans, par exemple. Les bourses hebdomadaires à gagner sont moindres (2 x 10 000 $), mais la probabilité de gain est environ 10 fois plus grande que chez les adultes (1 sur environ 500 000, ou 0,0002 %).

Offrir une loto-COVID particulière pour les 18-39 ans aurait-elle été mieux perçue par la population ? Avec des sommes moindres que 150 000 $, mais des chances plus grandes de gagner ?

En Alberta, les autorités semblent avoir trouvé une façon de contourner ce problème d’équité. À leur concours semblable à celui du Québec, elles ont ajouté en prix des abonnements à vie pour des activités de chasse et de pêche, ainsi que des voyages de camping et des laissez-passer de ski. Le public cible risque alors d’être plus jeune ou plus rural, et en tout cas moins nombreux.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux, on m’explique que la loto-vaccin a essentiellement deux objectifs. D’abord, on espère qu’elle incitera ceux qui retardent leur vaccination à aller de l’avant dans l’espoir de gagner un prix.

Dit autrement, ce ne sont pas les contestataires qui sont ciblés, mais plutôt ceux qui reportent le moment, notamment parce qu’ils veulent constater que les vaccinés n’ont finalement pas eu d’effets secondaires notables.

Ensuite : garder la vaccination dans l’actualité, même en plein été, grâce à l’impact médiatique et publicitaire du concours. Et au bout du compte, peut-on dire, l’enveloppe de 2 millions de dollars n’est pas un placement si coûteux compte tenu des possibles avantages.

Quoi qu’il en soit, si le taux de vaccination dépasse les 80 % avant le 3 septembre, c’est l’ensemble des Québécois qui ont gagné contre la COVID-19, et pas seulement les chanceux dont le nom sortira du chapeau.

Merci au collègue Pierre-André Normandin pour sa contribution statistique.