Ça ne ressemblera pas à ce que le très beau film d’Agnès Varda et JR, Visages, villages, nous montre. On ne verra pas le fameux JR, star incontestable du street art rouler dans son camion-photomaton à la rencontre de gens ordinaires pour les croquer et les magnifier sur des murs géants ou des wagons de train.

Mais la magie devrait quand même opérer cet été à Montréal. Je vous parle du projet Inside Out que l’artiste français JR a créé et met aujourd’hui à la disposition des villes afin qu’elles puissent rendre hommage à ses habitants anonymes.

Et aussi ajouter une sublime poésie dans nos rues et nos places publiques.

Dans la métropole, le projet Inside Out s’appelle Les visages de Montréal et prendra diverses formes. La première mosaïque de photos est apparue cette semaine dans la vitrine du Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts (PDA). On y voit les visages des employés de la PDA.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Première installation sur l’esplanade de la Place des Arts

On découvrira bientôt des mosaïques dans le Quartier latin, au Complexe Desjardins et à l’UQAM. De son côté, la Grande Bibliothèque montrera les visages de ses abonnés dans une vidéo projection. Les résidants des Habitations Jeanne-Mance seront mis à l’honneur sur une façade aux abords de la station de métro Saint-Laurent.

Également, il ne faudra pas manquer le photomaton mobile qui se déplacera dans un secteur de Montréal (quadrilatère formé par Atwater, Papineau, Sherbrooke et le fleuve Saint-Laurent) à la rencontre de ceux et celles qui ont envie de mettre leur sourire, leurs rides ou leur regard perçant au service de l’art public.

« On a voulu poser un geste qui est un appel à la solidarité », m’a confié Catherine Girard-Lantagne, directrice de la programmation du Partenariat du Quartier des spectacles.

On vient jouer sur l’émotivité en disant que malgré ce qu’on a vécu, on reste ensemble.

Catherine Girard-Lantagne, directrice de la programmation du Partenariat du Quartier des spectacles

Avant de lancer le projet Inside Out, l’artiste JR a parcouru des milliers de kilomètres à bord d’une camionnette qui lui servait de studio. Depuis des années, il débarque dans une ville ou un village, repère un mur ou une surface inusitée, photographie des gens et déploie les clichés en noir et blanc de ces gens. Ces photos sont imprimées directement de son véhicule et apparaissent sous l’œil ébahi des habitants.

Ce concept absolument unique a donné l’idée à Agnès Varda, qui avait 88 ans en 2017, d’accompagner JR, qui en avait 34, à coréaliser des projets photographiques d’une beauté infinie. Le résultat a pris la forme du film Visages, villages, qui sera présenté cet été à Montréal.

J’ai souhaité parler à JR (son prénom est Jean-René), mais celui-ci n’est pas très porté sur les entrevues. Celui qui est réputé pour se cacher constamment derrière des lunettes noires semble être dépassé par l’ampleur que prend son projet.

PHOTO TONY CENICOLA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

L’artiste JR à Times Square, à New York, en 2013

« Je ne suis même pas certaine qu’il soit au courant que Montréal embarque dans Inside Out », dit Catherine Girard-Lantagne. À Montréal, différents photographes prendront les clichés qui seront exposés.

JR, qui se définit comme un « artiviste urbain », a exposé dans les plus grandes villes du monde. Une quinzaine de personnes travaillent avec lui pour réaliser ses projets, qui sont parfois colossaux.

Adulé par certaines, jalousé par d’autres, JR ne fait pas toujours l’unanimité. Le magazine Les Inrockuptibles l’a accusé de « transformer la pratique sauvage et rebelle du graffiti et de l’affichage en un art légal, pompier et officiel ».

JR, déjà qualifié de Cartier-Bresson du XXIe siècle, n’a que faire de ces critiques. Il continue à promouvoir son approche, qui a comme but premier d’arrêter quelques secondes les résidants afin qu’ils s’interrogent sur le sens de l’art.

Le projet Inside Out a pris racine dans de nombreuses villes du monde. Londres et New York ont tapissé leurs murs et leurs sols de visages d’habitants méconnus. Au Québec, Victoriaville et Trois-Rivières l’ont accueilli l’été dernier.

À ce jour, 400 000 résidants dans près de 140 pays ont été « affichés » grâce à ce projet, dont les villes peuvent obtenir les droits moyennant un don. L’organisme Inside Out s’assure de paramétrer les initiatives venant des villes. Il possède un bureau à Paris et à New York.

« Chacun y va de son propre message, explique Catherine Girard-Lantagne. Ça peut être une lutte contre l’homophobie, une lutte politique, un appel à l’amour ou à la paix. Pour nous, c’est une façon de nous réapproprier Montréal avec cette guerre que l’on vient de vivre. »

La présence d’Inside Out à Montréal ne pouvait pas mieux tomber. Il vient assouvir cet immense besoin que nous avons de reprendre contact avec les autres. Vivement les soupers et les barbecues.

Le déconfinement nous permet de revoir les gens qui font partie de nos vies. Mais les autres, les inconnus, les anonymes, eux aussi, ils nous ont manqué. Leur absence, on s’en rend compte maintenant, avait creusé un grand vide au fond de nous.

Visages, villages

Visages, villages

Agnès Varda et JR

Cinémathèque québécoise, 5 août, 18 h 30, et 7 août, 16 h