Les tests de français parlent des melons de Cavaillon, des élèves de CM1 et CM2, de Jacques Chirac, de couvreurs-zingueurs, de la SNCF…

On y utilise des mots et des expressions comme « du coup », la « fac », le « shopping », le « gamping »…

Bienvenue au Québec ! Là où les tests d’évaluation du français pour les candidats à l’immigration sont conçus… en France.

« C’est hallucinant ! », me dit Bernard Dionne, un professeur d’histoire à la retraite qui a découvert la chose en aidant un candidat à l’immigration, diplômé en génie originaire du Bangladesh, à se préparer à son test d’évaluation du français (TEF). Lui qui avait déjà fait beaucoup d’efforts pour apprendre le français, il butait contre des questions truffées de références franco-françaises.

Je trouve que ça amène des distorsions et des difficultés supplémentaires qui n’aident en rien à l’intégration des immigrants à la réalité québécoise et canadienne.

Bernard Dionne, professeur d’histoire à la retraite

Et pour cause… Le TEF a été conçu par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France. Quant au test de compétence du français (TCF), un autre test conçu pour répondre aux exigences du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) afin d’obtenir un certificat de sélection du Québec, il est concocté par France Éducation International, un organisme qui relève du gouvernement français.

Je cite quelques extraits des tests préparatoires proposés aux candidats :

– « Les élèves de CM1 et CM2 sont bien arrivés à Belle-Île. »

– « Un bébé a été retrouvé au rayon alcool et vin. Il porte un body… »

– Un rendez-vous pour la « révision de votre voiture ».

– Une « rixe entre bandes dans le 11arrondissement de Paris ».

Manque-t-on d’experts compétents au Québec pour concevoir des tests adaptés à notre contexte linguistique et culturel ?

Bien sûr que non, tonne Bernard Dionne. « J’ai été directeur du Centre collégial de développement de matériel didactique, qui fournit du matériel pédagogique pour tous les cégeps de la province depuis une trentaine d’années, notamment en français langue seconde. C’est la raison pour laquelle ça m’a tellement choqué. On a des ressources au Québec. Ça vaut aussi pour le milieu universitaire ! Je ne comprends pas qu’on n’ait pas fait l’effort d’adapter ce questionnaire à notre réalité. »

Sa conjointe Danielle Nepveu, aussi professeure d’histoire à la retraite, et son beau-frère, l’écrivain et professeur de littérature Pierre Nepveu, qui participent au même projet bénévole d’aide à la francisation, ont été tout aussi estomaqués en prenant connaissance de ces tests.

« Comment expliquer un tel colonialisme culturel ? », se demande Danielle Nepveu.

En accompagnant une candidate à l’immigration argentine dans sa préparation au test de compréhension orale, Pierre Nepveu a été stupéfait de voir qu’un test conçu pour des futurs immigrants au Québec fait fi des spécificités québécoises.

Ici, je regrette, on ne fait pas du shopping, on fait du magasinage et c’est très bien comme ça ! Est-ce si compliqué de concevoir un test qui soit dans une langue plus conforme à celle que l’on parle ici, avec une terminologie adaptée ?

Pierre Nepveu, écrivain et professeur de littérature

Les gouvernements successifs ont pourtant eu amplement le temps de le faire, rappelle Pierre Nepveu. « La loi 101 date de 1977 ! Comment se fait-il que l’on n’ait même pas pu, depuis ce temps-là, concevoir des tests pour les allophones qui soient convenables et conformes un tant soit peu avec la langue québécoise ? Après si longtemps, est-ce à dire que ce n’est pas une priorité des gouvernements ? »

Du coup, comme on dit dans la mère patrie, ce constat : après toutes ces années, même si le mot « francisation » a été ajouté au nom du ministère québécois de l’Immigration, il semble que l’on en soit toujours à la francisation au temps des colons.

Des tests « made in France » déjà dénoncés

Comment se fait-il que ces tests de français ne soient pas conçus au Québec ?

« Le test de français dont il est question est reconnu par le MIFI depuis 2006 et il constitue un des moyens offerts aux candidats pour démontrer l’atteinte d’un niveau de compétence linguistique exigé par les programmes d’immigration. Il est à noter également que la reconnaissance de ce test de français a été effectuée sous le précédent gouvernement », m’a répondu par courriel Flore Bouchon, attachée de presse de la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Nadine Girault.

Les organismes français qui ont conçu ces tests internationaux standardisés ont agréé plus de 1000 points de service dans le monde, ce qui permet aux candidats à l’immigration de démontrer leurs compétences linguistiques au moment de déposer leur demande, indique le MIFI.

En janvier 2014, Le Devoir avait déjà dénoncé ces tests linguistiques « made in France ». Le gouvernement de Pauline Marois avait alors promis des changements. Depuis, le MIFI rapporte que des éléments contextualisés pour le Québec et des dialogues avec des comédiens à l’accent québécois ont été ajoutés. Mais les tests sont toujours conçus en France. L’épreuve de production écrite est aussi corrigée en France.

« Nous sommes actuellement à évaluer une amélioration des façons de faire pour démontrer une maîtrise du français et mieux répondre aux besoins des personnes immigrantes », a dit l’attachée de presse de la ministre Girault.