Granby désavoue son approche sur les lieux de tolérance

« Ils veulent qu’on soit moins confortables pour qu’on ait le goût d’aller en appartement, mais y en a même pas ! »

Ce cri du cœur, c’est celui de Danny. C’est à l’arrière d’un cimetière, à proximité de la rivière Yamaska, qu’il a établi son camp. Une tente, une cabane en bois, un petit foyer entre quelques briques, mais surtout beaucoup d’objets divers que l’homme a récupérés aux quatre coins de la ville. Une installation de fortune que Danny sait pourtant temporaire.

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Danny, qui a établi son camp à l’arrière d’un cimetière

Dans deux jours, c’est sûr qu’on va venir me demander de partir.

Danny

Si l’homme en est persuadé, c’est que Granby a décidé de mettre fin aux zones de tolérance où les personnes en situation d’itinérance pouvaient établir un campement. Elles se retrouvent aujourd’hui obligées de se déplacer fréquemment.

Depuis que les lieux de tolérance ont été fermés, Danny se retrouve régulièrement délogé par les autorités. « On n’a pas le droit d’installer plus de trois tentes et ils viennent à peu près deux fois par semaine pour nous demander de nous déplacer », raconte son ami Jean, avec qui il partage une cigarette.

Un projet d’accompagnement

Cet abandon des lieux de tolérance est l’une des mesures du plan d’action de la Ville en matière d’itinérance, annoncé la semaine passée. « On s’est aperçu que ce n’était pas la meilleure solution pour les personnes », justifie la mairesse de Granby, Julie Bourdon.

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Julie Bourdon, mairesse de Granby

On voyait une augmentation des enjeux de violence, d’agression, de consommation de drogues, donc ça venait exploser à l’intérieur même des lieux de tolérance.

Julie Bourdon, mairesse de Granby

C’est sur les organismes communautaires et les différents services que la Ville souhaite plutôt miser afin de favoriser un accompagnement plus durable. « On est venu mettre en place un plan d’action qui va vraiment déterminer un continuum de services pour les personnes vulnérables en situation d’itinérance, précise la mairesse. On travaille notamment sur la mise en place d’une halte-répit et aussi pour permettre à la soupe populaire de servir 365 jours par an, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. »

Un ensemble de services dont Francis se dit « reconnaissant » de pouvoir bénéficier. Parmi eux, l’organisme SOS Dépannage, la soupe populaire Partage Notre-Dame ou encore le centre d’hébergement Le Passant. « On a de la chance, les intervenants sont très compréhensifs. »

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Francis, 29 ans, s’est retrouvé à la rue il y a peu de temps.

L’homme de 29 ans, à la rue depuis peu, s’affaire à ranger son camp pour éviter de prendre la pluie. Si c’est avec fierté qu’il présente ses dernières trouvailles, il ne cache pas non plus son soulagement de pouvoir enfin quitter la précarité de sa situation.

« J’étais 35e sur la liste d’attente du centre d’hébergement, mais maintenant, c’est moi le prochain, se réjouit-il. Une fois que je serai là-bas, je pourrai y rester trois ans et retrouver un travail et une routine. »

Un manque de logements

La question de l’hébergement est au cœur des interrogations depuis l’annonce du plan par la Ville. À Granby, il existe quatre centres, deux pour hommes et deux pour femmes. Ces établissements, souvent très sollicités, disposent de peu de places. C’est notamment le cas au centre Le Passant, qui compte une quinzaine de lits, selon Karine Lussier, directrice du Groupe actions solutions pauvreté (GASP), qui rassemble plusieurs organismes communautaires dont la mission est la lutte contre la pauvreté en Haute-Yamaska.

Une pénurie davantage visible dans les services destinés aux femmes. « Au centre Entr’elles, il y a quatre ou cinq lits environ, précise Mme Lussier. C’est sûr que ce n’est pas beaucoup parce qu’on a vu une grosse augmentation de l’itinérance des femmes dans les dernières années. »

Mélanie est une habituée de ces centres. Aujourd’hui, elle espère d’ailleurs pouvoir y prendre une douche. Mais au-delà de l’hygiène, si la quarantenaire s’y rend souvent, c’est surtout en raison des enjeux de sécurité.

Le premier besoin à combler, c’est la sécurité. C’est arrivé une couple de fois que des gens se fassent brûler leur tente. La semaine dernière encore.

Mélanie

Des problèmes de sécurité que Danny connaît bien lui aussi.

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Jean et Danny

« Par trois fois, je me suis fait voler tout ce que j’avais. […] Je ne peux pas aller en centre, parce que si je ne surveille pas mon stock, je me fais tout voler », explique-t-il.

Manque de fonds

Au-delà du manque de places, le problème de l’hébergement à Granby repose également sur le manque de fonds. « On a des organismes communautaires qui ont des lits vides présentement, mais qui ont des listes d’attente parce qu’ils n’ont pas assez de financement pour avoir d’autres employés pour gérer ces lits-là », explique Karine Lussier.

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Les lieux de tolérance ne sont plus en vigueur à Granby.

Selon la responsable du GASP, il y aurait une cinquantaine de personnes en situation d’itinérance à Granby, ce à quoi s’ajoute l’itinérance invisible, qui concernerait une centaine de personnes. Et la directrice est catégorique : « Il n’y a aucunement 150 places disponibles à Granby dans des ressources pour des personnes en situation d’itinérance. On est très loin du compte. »

C’est pour répondre à cette problématique que la Ville a prévu, dans le cadre de sa politique d’habitation, la création de 300 logements abordables d’ici les deux prochaines années, dont 90 dès l’automne prochain.

Des annonces qui laissent les principaux intéressés perplexes, eux qui reprochent souvent à la Ville et à certains centres d’hébergement de les infantiliser ou de les traiter de manière « robotique ». « T’arrives une minute en retard dans le centre et tu rentres pas », déplore Jean. « Et si tu veux prendre une douche, c’est à telle heure précise », ajoute Danny.

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Campement où se reposent Danny et Jean

Pour les deux hommes, la fin des campements est synonyme d’une augmentation de la précarité. « Je n’ai même pas le temps de m’installer pour avoir mon confort qu’ils viennent déjà me demander de partir », déplore Danny.

Ils veulent nous disperser pour qu’on soit moins visibles. Je me sens déshumanisé.

Danny

S’il y a bien une chose sur laquelle Jean et Danny ont le même point de vue, c’est le fait que ces désaccords avec la municipalité sont surtout liés à un manque de représentativité politique. « Il faudrait que la personne qui nous représente vienne de la rue, parce qu’aujourd’hui, c’est un policier, explique Danny. Et on donne toutes nos idées aux travailleurs de rue, mais c’est toujours rejeté quand ça arrive plus haut. »

Même si les deux hommes savent qu’il faudra très bientôt déménager à nouveau du campement, ils profitent de la douceur du début d’après-midi pour simplement discuter au calme. Danny réfléchit d’ailleurs déjà à quelques endroits où il pourrait installer son prochain camp.