(Deschambault-Grondines) Un marcheur promène son épagneul sur une petite route tranquille du village de Grondines, bordé de maisons ancestrales, quand soudain, une file de véhicules blindés déboule. Au loin, deux hélicoptères bourdonnent.

Quelque chose se passe dans Portneuf. La région blottie entre Trois-Rivières et Québec accueille depuis mardi un important exercice militaire qui met en scène 400 soldats et 60 véhicules des Forces armées canadiennes.

Le but ? Préparer une bonne partie des 1000 soldats de Valcartier qui seront déployés l’été prochain en Lettonie, dans une région sous haute tension depuis l’invasion russe de l’Ukraine.

Le Canada s’est engagé récemment à doubler sa présence dans ce pays balte, allié de l’OTAN. Les soldats québécois se préparent à partir alors que l’ancien président Donald Trump a récemment eu des déclarations incendiaires sur l’alliance et son article 5, laissant entendre que s’il était réélu, il laisserait la Russie envahir les pays de l’OTAN qui ne paient pas « leur part ».

À partir de l’été prochain, pendant un an, des soldats de la base de Valcartier vont mener cette mission de dissuasion et de défense en Lettonie, un petit pays de 1,8 million d’habitants qui partage une frontière de 214 kilomètres avec la Russie. Ottawa a promis d’investir en Lettonie un total de 2,6 milliards de dollars sur trois ans et de déployer jusqu’à 2200 soldats canadiens en continu.

Mais les soldats à déployer doivent être formés. Dans Portneuf, les Forces armées vont notamment simuler l’évacuation de blessés après une attaque de drones sur une aluminerie de Deschambault ou encore un raid dans une érablière de Saint-Ubalde où des ennemis auraient caché des armes.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Les chars d’assaut sont venus perturber la sérénité de l’église Saint-Charles-Borromée, dans le village de Grondines.

« Avant une invasion, de la Russie par exemple, on peut s’attendre à ce qu’on appelle du shaping, avec disons des forces spéciales qui s’infiltrent dans le territoire, avec des sympathisants, de la propagande, des caches d’armes », explique le major Pascal Croteau, rencontré mardi à Deschambault-Grondines. « Ils préparent l’invasion pour que la cible, quand l’invasion commence, soit fragilisée. »

Tester l’article 5 ?

Soutenir la Lettonie contre une invasion russe… La menace avait quasiment des airs de science-fiction il y a quelques années encore. Depuis deux ans et la guerre en Ukraine, elle est beaucoup plus réelle.

Le ministre de la Défense du Danemark a même déclaré la semaine dernière « qu’il ne peut être exclu que d’ici trois à cinq ans, la Russie teste l’article 5 et la solidarité de l’OTAN ».

Cet article précise qu’une attaque contre un membre « sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties ». L’article 5 engage les membres de l’Alliance à fournir en cas d’agression une assistance militaire, humanitaire ou financière.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Si, cet hiver, ce soldat conduit ce char dans les routes champêtres de Portneuf, cet été, ce sera à quelques kilomètres de la frontière russe qu’il pourrait bien le faire...

L’OTAN n’a pas attendu une frappe russe pour agir. L’Alliance a adopté une posture de dissuasion sur son front oriental. Les pays membres ont ainsi envoyé des soldats dans tous les pays baltes. Les missions sur place sont menées par un pays-cadre : le Royaume-Uni en Estonie, l’Allemagne en Lituanie et le Canada en Lettonie.

« Ces mesures montrent que les Alliés sont résolus et prêts à défendre le territoire et les populations de l’Alliance », affirme l’OTAN.

Rafale blanche

C’est dans ce contexte qu’a lieu l’exercice dans Portneuf, baptisé RAFALE BLANCHE. « Ça fait depuis un an qu’on s’entraîne pour le déploiement en Lettonie. Là, c’est l’étape finale de notre entraînement », précise le lieutenant-colonel Nicolas Lussier-Nivischiuk, commandant du 12régiment blindé du Canada.

On veut s’assurer que nos soldats soient prêts pour la mission de dissuasion en Lettonie. Et je sens le désir chez nos soldats d’arriver prêts pour accomplir nos tâches au sein de l’OTAN.

Le lieutenant-colonel Nicolas Lussier-Nivischiuk

Les soldats de Valcartier devraient partir vers le mois de juin pour deux déploiements de six mois chacun. Des soldats québécois seront donc en Lettonie pour un an. C’est le colonel Cédric Aspirault qui va commander la brigade multinationale là-bas.

Ce sera un premier déploiement pour le réserviste Nicolas Kadri, de Gatineau, rencontré mardi. « C’est certain que j’ai hâte, ça va être toute une expérience, dit-il. Je suis réserviste depuis 2007 et c’est la première fois que je suis déployé. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Nicolas Kadri, réserviste au régiment de Hull, sera déployé pour la première fois en Lettonie, l’été prochain.

Les Forces armées ont rencontré mardi les élus de Portneuf pour les remercier et les informer des opérations.

« C’est sûr que sur les réseaux sociaux, on a vu quelques réactions de personnes qui s’inquiétaient pour les enfants, les personnes âgées, indique le maire de Deschambault-Grondines, Patrick Bouillé. Mais elles ont été rassurées de savoir qu’il n’y aurait pas de coups de feu dans les noyaux villageois. »