En plus des jets Challenger en « fin de vie », les deux seuls autres avions appartenant à Québec et utilisés dans le transport médical de patients sont condamnés à l’« obsolescence », a appris La Presse. Ces appareils risquent d’être cloués au sol de plus en plus souvent même si l’on débloque des millions pour leur offrir une cure de rajeunissement.

Ce qu’il faut savoir :

  • La flotte d’avions gouvernementaux servant au transport aérien de patients a connu une série de ratés début janvier lors de laquelle un patient est mort sur le tarmac, à Val-d’Or.
  • Les deux jets Challenger opérés par Québec sont en fin de vie utile, selon nos informations.
  • Une série de documents obtenus grâce à la Loi sur l’accès à l’information démontre maintenant que les deux seuls autres avions servant au transport de patients, des Dash-8, sont condamnés à « l’obsolescence » si d’importantes sommes n’y sont pas investies.

« Disponibilité des pièces de plus en plus problématique », avion de plus en plus « au sol » en raison de systèmes « non fonctionnels », « perte de capacité opérationnelle » : le portrait est sombre pour les deux appareils Dash-8 détenus par le Service aérien gouvernemental (SAG).

Ces constats se trouvent dans un rapport d’environ 20 pages préparé par la firme Trend Tec, mandatée par Québec pour évaluer l’état de ces deux avions à hélices et se pencher sur leur avenir. La Presse a pu consulter ce document obtenu en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Il est entre les mains des fonctionnaires depuis avril dernier.

« Disponibilité des nouvelles pièces de plus en plus problématique ; augmentation des coûts de maintenance à prévoir en raison des coûts d’acquisitions de pièces », écrit la firme, en identifiant les « problématiques » du « maintien en opération » des deux Dash-8.

Ses recommandations ont été caviardées.

10 millions pour une mise à jour

Chapeauté par le ministère des Transports, le SAG est responsable des transports sanitaires aériens, de la lutte contre les incendies de forêt (avec ses avions-citernes) et d’autres activités aériennes, comme la collaboration avec la Sûreté du Québec (SQ), grâce à ses hélicoptères.

Il exploite quatre appareils qualifiés « d’avions-hôpitaux » et utilisés pour le transport de patients des régions éloignées vers les grands centres hospitaliers, au sud.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU MINISTÈRE DES TRANSPORTS ET DE LA MOBILITÉ DURABLE

Dash 8-200 du Service aérien gouvernemental

On parle de deux jets Challenger de Bombardier et de deux Dash-8 (versions Q-100/200, Q-300). Autrefois construit par l’avionneur québécois, ce programme appartient à De Havilland depuis 2019. La construction des deux modèles détenus par le SAG a cessé en 2005 et en 2009, respectivement.

En principe, les deux Dash-8 gouvernementaux pourraient respectivement voler jusqu’en 2039 et 2041 en leur offrant une mise à jour de la « suite avionique » – l’ensemble des équipements électroniques et informatiques qui aident au pilotage des avions –, selon le rapport. La facture pourrait frôler 10 millions, estime Trend Tec Canada.

Cela ne réglera pas le problème, prévient la firme.

Augmentation exponentielle

« Les changements observés durant les 24 derniers mois dans l’industrie ont révélé que l’ensemble des opérateurs qui opèrent une flotte de Dash-8 ont revu leur opération avec ce type d’appareil », peut-on lire dans le rapport.

Autrement dit, on retrouve de moins en moins de ces appareils sur le marché. Ils ne sont plus assemblés, et des exemplaires sont envoyés au rancart chaque année. Pour le SAG, il sera ainsi de plus en plus difficile de trouver des pièces de remplacement lorsque viendra le temps d’effectuer de la maintenance.

« Nous n’en sommes qu’au début du processus, souligne le document. Le nombre d’équipements considérés obsolètes ne fera qu’augmenter exponentiellement avec le temps. »

Le ministère des Transports, dont relève le SAG, n’avait pas répondu mardi en fin de journée à une série de questions acheminées lundi matin.

Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Mehran Ebrahimi, professeur à l’UQAM et directeur de l’Observatoire international de l’aéronautique et de l’aviation civile, abonde dans le même sens. Avant de dépenser des millions pour prolonger la vie de ses deux Dash-8, Québec doit se demander si le « jeu en vaut la chandelle », prévient l’expert.

« On finira quand même à être confrontés à des problématiques de maintenance avec les années, dit-il. On peut cannibaliser des appareils existants pour obtenir des pièces, mais il n’y en a pas indéfiniment et ça coûtera de plus en plus cher. La qualité des pièces finira par entrer en ligne de compte. »

Le gouvernement se trouve dans une position délicate, reconnaît M. Ebrahimi. Puisque l’on ne fabrique plus le Dash-8, les options d’avions à hélices sont très limitées, affirme-t-il. Le constructeur franco-italien ATR propose un modèle (ATR 42) dont la distance de décollage est similaire à celle d’un Dash -8 300 du SAG. Autrement, il faudra vraisemblablement se tourner vers un appareil propulsé par des moteurs à réaction, souligne M. Ebrahimi.

« Indigne d’un service d’urgence »

Le député du Parti québécois Joël Arseneau, qui suit attentivement le dossier, s’explique mal comment le gouvernement a pu en venir au point où tous ses avions consacrés aux transports médicaux sont en si mauvais état.

« C’est indigne d’un service d’urgence offert par l’État du Québec. C’est comme dire qu’on n’entretient plus les ambulances », se désole-t-il en questionnant la lenteur des autorités dans ce dossier.

Depuis les années 2000 que tous ceux qui s’intéressent au transport aérien en région savent que les Dash-8 sont de plus en plus obsolètes, y compris Air Canada et Jazz, et que leur durée de vie utile tire à sa fin. De voir que le SAG n’en prend acte qu’en avril 2023, c’est sidérant.

Joël Arseneau, porte-parole du Parti québécois en matière de santé et de transports

« Est-ce qu’on est en train de développer cette vision où, par attrition, on est en train de se tourner vers le privé ? Est-ce un phénomène qu’on laisse aller de façon volontaire ou par insouciance ? », se questionne l’élu.

Le transport médical d’urgence a connu plusieurs ratés au cours des derniers mois. Pas plus tard que le 4 janvier dernier, un patient a rendu l’âme sur le tarmac à l’aéroport de Val-d’Or. Il avait fallu faire appel à l’avion d’un sous-traitant puisqu’aucun pilote du SAG n’était disponible. Ce problème s’ajoute aux problèmes mécaniques de la flotte des avions gouvernementaux.

Selon nos informations, les deux jets Challenger 601 du SAG sont au bout du rouleau. L’un des exemplaires (C-GURG), construit en 1989, a été hors service durant plus de 125 jours l’an dernier, toujours selon des documents obtenus grâce à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

En octobre dernier, La Presse rapportait que le SAG se préparait à verser jusqu’à 7 millions d’ici mai 2025 à 4 sous-traitants en raison de la vétusté de sa flotte d’avions. On avait également mis moins de six mois pour épuiser la totalité des fonds (700 000 $) d’un contrat de sous-traitance qui devait couvrir une année complète.

En savoir plus
  • 1997
    Année de construction du plus vieux Dash-8 du Service aérien gouvernemental
    MINISTÈRE DES TRANSPORTS ET DE LA MOBILITÉ DURABLE
    20 ans
    Âge du deuxième Dash-8 de la flotte gouvernementale
    MINISTÈRE DES TRANSPORTS ET DE LA MOBILITÉ DURABLE