Perte de logement, perte de repères : plus de 2500 aînés du Québec ont été touchés par la fermeture ou la reconversion de leur résidence dans la dernière année, a révélé mercredi une enquête de l’Association québécoise des retraité(e)s des secteurs public et parapublic (AQRP). Les régions de Montréal, de Québec et de l’Estrie se partagent la part du lion de ces évictions.

« Ma mère, ça l’a énormément minée. C’était de l’angoisse, du stress, de la tristesse aussi. Et elle n’était pas la pire », témoigne Stéphane Robitaille. L’année dernière, la résidence privée pour aînés (RPA) où vivait sa mère – la Seigneurie de Salaberry à Québec – a été rachetée pour être convertie en logements locatifs.

Après avoir tenté de rester sur place, sans services, la mère de M. Robitaille, Marie Petitclerc, 86 ans, a fini par perdre sa mobilité et déménager dans une autre RPA. La transition a marqué M. Robitaille.

« J’ai vu des personnes à la Seigneurie de Salaberry pleurer, être vraiment désemparées. Il y avait un énorme sentiment d’abandon. Les personnes ne savaient pas où aller, certaines se sont retrouvées très, très mal prises », déplore-t-il.

Le plus triste, quand une résidence pour personnes âgées ferme, c’est que ces personnes-là perdent leurs repères, leur soutien social, les liens qu’elles avaient avec d’autres résidants, ou même juste le dépanneur d’à côté.

Tatiana Barazal, organisatrice communautaire pour le Comité logement Rive-Sud

En novembre 2022, Tatiana Barazal a accompagné plusieurs familles après la fermeture de certains services de la Résidence Napierville, en Montérégie. « C’est tout ce réseau qui est perdu quand une résidence ferme. »

88 RPA fermées

Mme Petitclerc, tout comme les locataires de la Résidence Napierville, fait partie des 2500 personnes âgées qui ont perdu leur logement en RPA entre octobre 2022 et septembre 2023, selon une recension de l’AQRP rendue publique mercredi. Durant cette période, 88 RPA ont fermé.

Le quart des résidants touchés, soit 655 locataires, se trouvaient dans la région de Montréal. Seuls trois CIUSSS sur cinq à Montréal ont répondu à la demande d’accès à l’information de l’AQRP. Les données dans la métropole sont donc sous-estimées.

Du côté de la Capitale-Nationale, près de 607 locataires ont aussi été évincés de leur RPA. Au troisième rang des régions les plus touchées vient l’Estrie, avec 574 locataires évincés dans la dernière année, a rapporté l’AQRP.

La ministre responsable des Aînés, Sonia Bélanger, s’est dite préoccupée par la situation, mercredi. « On a mis en place et on continue de déployer des mesures importantes pour freiner ces fermetures, dont de nombreuses aides financières », a-t-elle réagi sur X.

« Lors d’une fermeture de RPA, nous avons modifié la loi en 2022 pour que le délai d’avis passe de six à neuf mois, a-t-elle ajouté. De plus, les aînés sont protégés par le droit au maintien dans leur domicile lors des changements de vocation des immeubles, ce qui évite des déménagements. »

Relogement difficile

Plusieurs causes peuvent mener à la fermeture d’une RPA ou à l’éviction de ses locataires. Les difficultés financières des propriétaires sont l’une des plus fréquentes, rapporte l’AQRP dans un guide pratique publié en juin dernier1.

« Les propriétaires de RPA se sentent étranglés par leurs obligations. La pandémie a épuisé les employés », peut-on lire dans ce guide. L’obligation de fournir plus de soins et d’installer des gicleurs, malgré le programme d’aide gouvernementale, ajoute au fardeau.

Une autre raison est que les aînés vivent longtemps dans les mêmes logements, ce qui fait en sorte que le prix de leur loyer est bas, rappelle l’AQRP.

Cela incite les propriétaires à cibler cette clientèle pour user de tactiques d’évictions, frauduleuses ou légitimes, pour augmenter le coût du loyer entre deux locataires à des fins de profits.

Extrait du guide pratique de l’AQRP

Au cours des cinq dernières années, 473 RPA ont fermé dans la province, recense l’AQRP dans le même document. Les 88 nouvelles fermetures en 2022-2023 s’ajoutent à ce constat, précise le président provincial de l’AQRP, Paul-René Roy.

La vaste majorité de ces fermetures, soit 90 % d’entre elles, concerne des résidences qui comptaient moins de 30 logements. Elles se trouvaient aussi dans de petites communautés.

« Ces résultats nous inquiètent, car le marché présentement n’est pas facile pour les gens qui se cherchent un logement », a expliqué en entrevue à La Presse M. Roy.

Pas nécessairement des évictions

Au cabinet de la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, on tient à préciser que « dans le cas de fermeture ou de conversion de RPA, il ne s’agit pas d’évictions », a indiqué par courriel l’attachée de presse Justine Vézina.

Selon Tatiana Barazal, cependant, le changement d’affectation d’une RPA entraînant des changements aux conditions du bail, « ça équivaut à un avis d’éviction aux yeux de la loi ».

Dans les dernières années, des fermetures ou reconversions en logements locatifs de RPA ont fait les manchettes.

C’est le cas de la Résidence Mont-Carmel, à Montréal, dont la cause se trouve toujours devant les tribunaux.

« Il est urgent que la CAQ s’intéresse au sort des aînés qui perdent leur logement pour cause de fermeture ou de conversion de leur résidence privée pour aînés », a réagi la libérale Linda Caron, porte-parole de l’opposition officielle en matière d’aînés, de proches aidants et de soins à domicile.

« Pour nous, la solution est de sortir les RPA du marché privé », a indiqué à La Presse Stéphane Robitaille, qui milite dans plusieurs associations de défense des droits du logement. « Parce que ces aînés-là ne sont pas armés pour se défendre. »

1. Consultez le guide pratique de l’AQRP

L’AQRP demande plusieurs mesures pour freiner la perte de ces logements en RPA.

  • Un moratoire sur les évictions
  • La transformation des RPA en logements communautaires
  • L’ajout d’une clause spécifique concernant les RPA dans le projet de loi 31, à l’étude en commission parlementaire
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