Montréal ? « Nooo ! », lance Mariana Rodriguez. « Es demasiado agitado. Prefiero Saint-Jean-sur-Richelieu. [Montréal, c’est trop agité. Je préfère Saint-Jean-sur-Richelieu. ] »

Ce qu’il faut savoir

Des demandeurs d’asile quittent Montréal pour s’installer en région.

Cette régionalisation de la prise en charge a des répercussions sur les communautés d’accueil.

La hausse du nombre d’élèves demandeurs d’asile est « exponentielle » au centre de services scolaire des Hautes-Rivières.

De plus en plus de demandeurs d’asile, comme Mariana Rodriguez, choisissent de quitter Montréal pour s’établir à Saint-Jean-sur-Richelieu, une ville de 100 000 habitants, en Montérégie, où ils trouvent des emplois et des logements, a constaté La Presse.

Cette régionalisation de la prise en charge a cependant des répercussions sur les communautés d’accueil, qui ont moins l’expérience de l’immigration et qui, surtout, ne disposent pas des structures d’accueil pour bien soutenir ces nouveaux venus.

« On sent qu’il y a un grand mouvement qui est en train de se passer du côté des demandeurs d’asile qui sont arrivés dans les deux dernières années et qui ont été logés, au départ, à Montréal », témoigne la directrice de l’organisme Quartier de l’emploi, à Saint-Jean-sur-Richelieu, Lyne Laplante.

« C’est parce que c’est hyper difficile de se loger à Montréal avec le coût des logements », croit-elle.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La directrice de l’organisme Quartier de l’emploi, Lyne Laplante

Comme il y en a qui se sont installés à Saint-Jean, les gens se parlent. On leur dit de venir dans notre région. Donc, nous, on a des demandes chaque semaine. On les aide du mieux qu’on peut avec les ressources du milieu et on fait du placement rapide en emploi pour combler des besoins de main-d’œuvre.

Lyne Laplante, directrice de l’organisme Quartier de l’emploi

« Mais nous aussi, on fait face à une pénurie de logements sur notre territoire. C’est sûr que tout ça a un impact », poursuit Mme Laplante.

« Ça explose dans notre région »

Au début des années 2000, il y avait très peu d’immigrants à Saint-Jean-sur-Richelieu, rappelle Mme Laplante.

« C’était des Roger Tremblay, typiquement blancs, québécois. Aujourd’hui, on est rendus avec de nombreuses personnes issues de l’immigration. On a franchi les 5000 à 6000 sur 100 000 de population. Il y en a de plus en plus avec l’arrivée des travailleurs étrangers temporaires. Nous, ça explose dans notre région. »

Le centre de services scolaire des Hautes-Rivières (CSSDHR), qui regroupe 50 établissements d’enseignement et 22 000 élèves, doit aussi composer avec cette nouvelle clientèle.

« Pour nous, l’augmentation est exponentielle, en proportion », affirme Marie-Claude Huberdeau, directrice générale du centre de services scolaire.

Les élèves demandeurs d’asile, l’année dernière, nous en avions 28. Déjà, cette année, nous en avons 32. Mon service de l’organisation scolaire anticipe une hausse de 40 % cette année. Donc, on va se rendre assurément à 40 élèves demandeurs d’asile.

Marie-Claude Huberdeau, directrice générale du centre de services scolaire des Hautes-Rivières

Ces élèves ne parlent souvent ni français ni anglais, mais leur nombre est insuffisant pour justifier la création de classes d’accueil. Le centre de services scolaire des Hautes-Rivières opte plutôt pour des points de service, dont le nombre est passé de deux à trois, récemment.

« Chez nous, les élèves ne sont pas à temps plein en francisation, explique Mme Huberdeau. Ils vont dans des points de service pour bénéficier de façon ponctuelle, selon leur niveau d’apprentissage de français, de services de francisation. C’est le modèle qu’on a retenu parce qu’on n’a pas la masse critique pour avoir une classe de tout-petits, une classe d’élèves de fin du primaire et de secondaire. »

Mais au-delà de l’apprentissage du français, ce sont des élèves qui ont besoin d’être soutenus, ajoute la directrice.

« Qui dit demandeurs d’asile dit parcours migratoire parfois très difficile, souligne-t-elle. Ces élèves ont vu et vécu des choses qui peuvent laisser des séquelles. Certains arrivent hypothéqués et avec des retards de scolarisation importants. Donc, il faut non seulement les franciser, mais leur offrir des services de soutien adaptés au vécu de l’enfant. »

Quatre mois à l’hôtel

Mariana Rodriguez, 26 ans, fait partie de ces nouveaux venus. Elle est arrivée au Québec le 22 janvier, en passant par le chemin Roxham – désormais fermé –, avec sa conjointe, Geris Araque, 35 ans.

« La culture latino ne permet pas de vivre une vie de personne homosexuelle », explique-t-elle.

Toutes les deux ont traversé les Amériques pour gagner le Canada, où elles espèrent obtenir le statut de réfugié, en passant par l’Équateur, la Colombie, le Panamá, le Costa Rica, le Nicaragua, le Honduras, le Guatemala, le Mexique et les États-Unis. À pied, en autobus et en autostop. Un trajet qui a duré un mois.

Si elles ont décidé de s’établir à Saint-Jean-sur-Richelieu, c’est parce que c’est dans cette ville qu’elles ont été hébergées en arrivant au Québec.

Les hôtels et les sites d’hébergement étaient pleins à craquer au début de l’année à Montréal, alors qu’une centaine de migrants entraient au Québec chaque jour pour demander l’asile au pays. Le fédéral, à la demande du Québec, a transporté des demandeurs d’asile en Ontario, notamment à Niagara Falls, mais il a aussi loué des chambres dans des hôtels québécois en région.

Mariana et Geris ont été hébergées au Quality Inn de Saint-Jean-sur-Richelieu pendant quatre mois. Dans cet hôtel, elles ont fait la connaissance de Jairo Henriquez, un autre demandeur d’asile venu du Venezuela, qui est arrivé au Québec le 25 novembre 2022 par le chemin Roxham.

20 $ et 23 $ de l’heure

Tous les trois ont vécu à Montréal, après leur séjour au Quality Inn, mais sont revenus à Saint-Jean-sur-Richelieu, où ils commencent leurs cours de francisation après quelques mois d’attente.

Dans une plus petite ville, les demandeurs d’asile peuvent également faire leur nid plus facilement.

« Pour eux, qui ne parlent pas français ni anglais, c’était difficile de trouver du travail », explique Romy Alegria, conseillère au Quartier de l’emploi. « Alors, ils ont décidé de revenir ici. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La conseillère au Quartier de l’emploi Romy Alegria

Jairo Henriquez, 47 ans, était mécanicien industriel dans son pays. À Saint-Jean-sur-Richelieu, il travaille comme machiniste pour l’entreprise Acier Sélect, à 23 $ de l’heure.

« J’aime la tranquillité de Saint-Jean », dit-il.

Geris Araque, elle, était physiothérapeute dans un hôpital militaire au Venezuela. Et Mariana Rodriguez étudiait en comptabilité. Toutes les deux travaillent sur la chaîne de production de l’entreprise Barrette Structural, qui possède une usine à Saint-Jean-sur-Richelieu. Elles touchent 20 $ l’heure.

« Ils sont dans des emplois alimentaires, pour leur permettre de bien s’installer, en attendant que leur demande d’asile soit entendue et acceptée, qu’ils deviennent des réfugiés reconnus et qu’ils puissent faire la demande de résidence permanente, explique Lyne Laplante, directrice du Quartier de l’emploi. Mais ça peut prendre deux ans avant que leur demande d’asile soit entendue. Donc, en attendant, ils vont travailler. »

Jusqu’à deux ans d’attente

Le Quartier de l’emploi, à Saint-Jean-sur-Richelieu, aide les demandeurs d’asile à trouver un emploi, même si ces derniers n’ont pas droit aux services publics, et donc même si l’organisme ne reçoit pas de soutien financier pour s’occuper d’eux. Depuis l’adoption d’un décret, en 1996, les demandeurs d’asile ne sont pas admissibles aux services de garde subventionnés et aux mesures d’employabilité. « Tout ce qu’on leur offre comme services, à part l’aide à la recherche d’un logement, c’est sur notre bras », précise la directrice de Quartier de l’emploi, Lyne Laplante. « Ces gens-là, en attendant d’avoir une réponse à leur demande d’asile, il peut s’écouler deux ans, dit-elle. Si on les laisse sur l’aide sociale, ils vont mourir de faim et ça va encourager le travail au noir. On se dit qu’il vaut mieux les aider à se trouver un emploi rapidement, un emploi alimentaire, dans des entreprises d’ici. »

En savoir plus
  • 57 %
    Au 1er janvier, le Québec accueillait 57 % des demandeurs d’asile présents au Canada.
    source : Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration