Mars 1987. Un garde-chasse en patrouille sur un chemin de terre de Rawdon, dans Lanaudière, aperçoit, au fond d’un fossé, une main humaine sur la neige qui a commencé à se retirer sous les chauds rayons du soleil printanier.

D’autres membres humains sont peu à peu découverts à proximité. Les enquêteurs des Crimes contre la personne de la Sûreté du Québec sont dépêchés sur place.

Une malle bleue, ayant vraisemblablement servi à transporter les membres découpés à la tronçonneuse, est également trouvée près d’un ruisseau. Dans le coffre, du sang. Oublié dans le fond d’une pochette, un petit bout de papier plié et mouillé qui permettra d’identifier la victime, un homme d’affaires de Mont-Royal.

Les policiers rencontrent la veuve, qui assure que son conjoint est vivant et, relevés de dépôts bancaires à l’appui, qu’il se trouve en Colombie-Britannique.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Détecteur de mensonges constitue une véritable incursion dans le monde peu connu des interrogatoires et des tests polygraphiques.

Mais les enquêteurs ne sont pas dupes. Ils remontent la filière, détricotent un plan machiavélique élaboré pour les confondre, et découvrent le pot aux roses. Ils sont confrontés à un classique : une histoire de triangle amoureux.

Dans cette affaire qui fait grand bruit à l’époque, le jardinier, amant de la veuve, est arrêté et longuement interrogé. Mais il ne sera jamais condamné. Ce n’est pas parce que Jacques Landry n’a pas essayé.

40 années n’ont rien effacé

Dans sa longue carrière, cet ex-policier, inventeur d’une technique d’interrogatoire qui porte son nom et pionnier de l’utilisation du polygraphe, a eu beaucoup de succès, mais aussi des échecs qui le hantent encore aujourd’hui. Parmi eux, le meurtre sordide de l’homme d’affaires de Mont-Royal.

« C’est l’un des plus gros échecs de sa carrière, de ne pas avoir pu mettre ce gars-là derrière les barreaux. Quand il en reparle, même si cela fait 40 ans, il en a pratiquement les larmes aux yeux », raconte Katia Gagnon, journaliste à La Presse.

Dans un livre intitulé Détecteur de mensonges, notre collègue raconte la carrière, mais aussi un peu la vie personnelle de cet ancien enquêteur chevronné.

L’ouvrage de 225 pages, qui se lit d’un trait, constitue une véritable incursion dans le monde peu connu des interrogatoires et des tests polygraphiques, mais aussi, par la bande, de la psychologie humaine.

Une histoire ou une anecdote n’attend pas l’autre dans cette œuvre basée sur des dizaines d’heures d’entrevue avec Jacques Landry, et sur vingt-six interrogatoires filmés, dont certains durent trois ou quatre heures, que Katia a visionnés en totalité pour bien cerner son sujet et sa fameuse méthode révolutionnaire.

La méthode Landry

Durant sa carrière d’enquêteur, d’interrogateur et de polygraphiste, commencée durant les années 1980 et qui se poursuit encore aujourd’hui, au privé, après 40 ans, Jacques Landry a mené plus de 12 000 entrevues avec des suspects, témoins ou autres.

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Jacques Landry et Katia Gagnon

Alors qu’auparavant, les interrogatoires policiers étaient basés sur l’exposition aux faits et la confrontation avec le suspect, Landry a introduit une nouvelle approche : celle de d’abord faire parler le sujet sur sa vie, pour installer une relation de confiance, et ensuite l’amener sur le pourquoi plutôt que sur le comment, trouver une faille pour que la personne rencontrée finisse par se compromettre et avouer son crime.

« J’ai trouvé ça vraiment fascinant, cet exercice de l’interrogatoire, sa préparation et sa méthode de semi-manipulation, semi-lien de confiance », résume la journaliste, qui a elle aussi réalisé des centaines d’entrevues dans sa carrière.

Insister sur le pourquoi, c’est donner une planche de salut à la personne. Il te tend une planche et à partir du moment où tu t’y accroches, tu admets que tu l’as fait.

Katia Gagnon, autrice de Détecteur de mensonges

Katia Gagnon est sidérée par le fait qu’à la fin de plusieurs interrogatoires, des suspects qui sont passés aux aveux ont serré la main de l’enquêteur et l’ont remercié pour son écoute. Certains, même, l’appellent ou lui écrivent encore des années plus tard.

Une renommée mondiale

En 1995, à la suite d’une commission d’enquête sur les pratiques policières, Jacques Landry est sollicité par les autorités pour uniformiser les méthodes d’interrogatoire et enseigner la matière à l’École nationale de police du Québec.

Une fois retraité de la SQ, la « méthode Landry » l’amènera en Belgique – où les relations avec la police belge ont été plutôt difficiles –, en France et même en Afrique.

Au privé, Jacques Landry a fait des interrogatoires pour le compte de criminels qui voulaient s’assurer que leurs employés ou acolytes – parfois même des individus importants – ne parlaient pas à la police ou ne les avaient pas volés. À ce sujet, Jacques Landry est conscient qu’il patine sur une glace mince et sent le besoin de s’expliquer à la journaliste.

L’ancien policier a quitté la SQ non sans une certaine amertume encore palpable aujourd’hui, que ce soit par les mots ou entre ceux-ci.

Si, par la plume de Katia Gagnon, le but de Jacques Landry est de laisser un héritage à la postérité, on peut dire que l’affaire est classée.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

Quelques extraits du livre

Extrait 1

Déjà ce matin-là, il (M.S., un individu important du crime organisé) est arrivé au bureau de Jacques Landry, que ce dernier loue à un cabinet d’avocats, avec sa suite de six fiers-à-bras, dans un défilé de VUS noirs. Landry a renvoyé toute la suite d’accompagnateurs, ne gardant que l’avocat et le client avec lui.

Landry engage donc l’entretien avec M.S. comme il le fait avec chacun de ses sujets, en abordant sa vie personnelle et émotionnelle sur plusieurs aspects. On apprend qu’il a grandi dans un milieu difficile. « Je me suis autoélevé et autoéduqué. J’étais tout seul. »

La pire chose qui lui est arrivée dans la vie ? « J’ai perdu beaucoup d’amis », répond-il sobrement. Et le plus bel évènement qui lui soit survenu dans sa vie ? L’homme prend une pause. Il tente de contenir l’émotion. « La naissance de ma fille », répond-il, les larmes aux yeux. « Vous vous inquiétez pour elle ? » demande Landry.

— J’ai peur de ne pas pouvoir être là pour elle. À cause de ma vie, de ma réputation. (…) Est-ce que ça marche (la vidéo) ? Il va falloir que tu effaces ça. C’est très personnel tout ça.

Extrait 2

Des dizaines d’interrogatoires sur le thème de la pédophilie ont d’ailleurs rendu Landry peu optimiste sur les possibilités de traitement de cette déviance sexuelle. « Ceux que j’allais interviewer en prison, ils faisaient juste fantasmer sur le moment où ils seraient libérés pour pouvoir recommencer. »

Landry devait un jour aller interroger un pédophile condamné au pénitencier de La Macaza pour plusieurs disparitions d’enfants survenues dans l’est de Montréal, dans les années 1980. Le rendez-vous est fixé. La veille, Landry écoute un message sur son répondeur. Le détenu s’est suicidé. « Officiellement, ce cas, qui a fait les manchettes, n’a jamais été élucidé. Mais dans ma tête à moi, il l’est. »

Extrait 3

Mais plus le test avance, plus les cernes de sueur s’élargissent sur le t-shirt blanc de S. G. note rapidement Landry. « Le rond de sueur s’agrandit à mesure que je lui parle. Juste à voir la sueur, je savais qu’il était coupable. » Mais l’homme n’est pas facile à percer. Il ne sort jamais de sa carapace. Le polygraphiste ne lâche pas prise.

Détecteur de mensonges

Détecteur de mensonges

Les éditions La Presse

230 pages