L’annonce par le premier ministre Justin Trudeau de l’existence d’un « lien possible » entre le gouvernement indien et l’assassinat d’un leader sikh, Hardeep Singh Nijjar, en Colombie-Britannique, à la fin de juin, a mis en lumière les tensions passées et présentes entre New Delhi et Ottawa. Tour d’horizon avec le professeur de l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, Serge Granger, et son collègue de l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, Thomas Juneau.

De quand datent ces tensions ?

Les relations entre les gouvernements indien et canadien se sont particulièrement dégradées durant la période allant de 1974 aux années 1990, explique Serge Granger. Cette période coïncide « avec une résurgence du mouvement séparatiste sikh » au Canada, explique-t-il. Certains membres de cette communauté, qui compte plus de 750 000 personnes au pays, revendiquent la création d’un État, le Khalistan. Ce dernier comprendrait notamment le Pendjab, une région à majorité sikhe partagée entre l’Inde et le Pakistan, ce à quoi l’Inde est fortement opposée.

Pourquoi l’Inde en veut-elle au Canada ?

« L’Inde reproche donc au Canada “d’être un peu mou” face à cette résurgence du mouvement séparatiste sikh au pays », résume Serge Granger. Rappelons que le pire attentat terroriste de l’histoire du Canada, celui du vol d’Air India, qui a fait 329 morts en 1985, est attribué à des extrémistes sikhs. Qui plus est, « l’Inde reproche au Canada de ne pas protéger ses diplomates face à l’intimidation de ces séparatistes sikhs », une accusation récurrente depuis les années 1980, indique-t-il. Or, de récents évènements justifient ces craintes en quelque sorte, y compris la tenue au Canada de référendums sur l’indépendance du Khalistan, lors desquels des actes de violence passés auraient été célébrés, pointe Serge Granger. Un de ces évènements s’est notamment tenu au temple de Surrey, en Colombie-Britannique, où Hardeep Singh Nijjar a été tué par balle à la mi-juin.

L’ingérence étrangère, ce n’est pas plutôt la recette des dictatures ?

En effet, la perception populaire et la couverture médiatique mettent l’accent sur des États hostiles et non démocratiques comme source d’ingérence étrangère. En haut de la liste : la Chine, la Russie et l’Iran. Mais de nombreux rapports d’universitaires et de spécialistes identifient plusieurs autres pays comme des sources d’ingérence au Canada, parmi lesquels des alliés stratégiques ou commerciaux tels la Turquie, l’Arabie saoudite et l’Inde, souligne Thomas Juneau. « L’ingérence étrangère, c’est un concept très large. Ce n’est pas toujours évident où elle commence et où elle finit. Ce sont des activités qui vont des peu dérangeantes aux très intenses, comme des assassinats », explique-t-il. Dans le cas de l’Inde, Thomas Juneau identifie comme source « principale » d’ingérence du pays l’intimidation de militants séparatistes sikhs au Canada.

Comment cette annonce de Justin Trudeau peut-elle nuire aux relations entre le Canada et l’Inde ?

Elle va assurément retarder la signature d’ententes commerciales sur lesquelles l’Inde et le Canada travaillaient et repousser la participation de ce dernier à certaines organisations internationales où l’Inde est partie prenante. « Ça va repousser un rapprochement indo-canadien qui est très désiré par la communauté d’affaires. Les échanges entre le Canada et l’Inde sous-performent, juge Serge Granger. On pourrait exporter trois fois plus [en Inde], donc il y a place à l’amélioration. » Il va sans dire que la population indienne est en croissance et continuera de grimper jusqu’en 2070, à 1,7 milliard d’habitants, d’où son rôle central sur l’échiquier mondial. Qui plus est, seulement en 2022, le Canada a accueilli 118 000 migrants en provenance de l’Inde. « On doit avoir des relations minimalement cordiales avec ce pays », estime Serge Granger.