Les racines de betteraves à sucre, que l’on retrouve dans de nombreux produits transformés, pourraient bientôt contenir davantage de pesticides. Santé Canada propose d’autoriser jusqu’à 200 fois plus de fludioxonil à la demande de son fabricant.

Depuis 2008, le seuil de tolérance du fludioxonil, un fongicide, sur les racines de betteraves à sucre est de 0,02 partie par million (ppm). Santé Canada propose désormais un seuil jusqu’à 200 fois plus élevé, soit 4 ppm pour les produits importés.

Cette consultation, qui a débuté le 27 juin, fait suite à la demande de Syngenta, grand producteur de pesticides et fabricant du fludioxonil.

Santé Canada soutient que l’exercice est justifié, car les risques sanitaires associés à l’ingestion d’aliments traités au fludioxonil respectent ses exigences.

« Le fait que ce soit encore un vendeur de pesticides qui soit derrière ces consultations, ça dévoile la présence des lobbys au sein de Santé Canada », estime Laure Mabileau, responsable de la campagne Sortir du glyphosate pour Vigilance OGM. Elle se dit surprise que le gouvernement « n’ait pas appris plus de choses de ce qui s’est passé en 2021 avec le glyphosate ».

En 2021, le gouvernement libéral avait décrété une pause dans l’augmentation des limites de résidus de pesticides sur les aliments à la suite de controverses autour des consultations concernant le glyphosate. Le 20 juin, Ottawa a de nouveau autorisé l’augmentation de ces limites, mais affirmait que cette décision ne signifiait pas que les Canadiens seraient exposés à plus de pesticides.

« La limite maximale de résidus proposée va à l’inverse des efforts de réduction de l’usage des pesticides dans le monde agricole. Nous sommes en droit de nous inquiéter d’une prochaine augmentation des résidus de pesticides sur les aliments », a déclaré le porte-parole du Bloc québécois en matière d’agriculture, d’agroalimentaire et de gestion de l’offre, Yves Perron. Il invite le gouvernement à reculer et à s’engager plutôt à une réduction de l’usage des pesticides.

« Une décision commerciale »

Au Canada, environ 6 % de la production de sucre raffiné provient du raffinage du sucre de betterave, qui est obtenu à partir de betteraves à sucre cultivées en Alberta, d’après les informations de l’Institut canadien du sucre. Santé Canada précise que sa consultation « ne donnera pas lieu à de plus grandes quantités de résidus de pesticides dans les aliments cultivés » au pays.

L’augmentation proposée de ce pesticide a plutôt pour but d’harmoniser la limite de fludioxonil autorisée au Canada avec le seuil de tolérance établi aux États-Unis.

Cette hausse vise ainsi à autoriser l’importation et la vente de racines de betteraves à sucre et de leurs dérivés au pays.

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Le sucre de betteraves entre notamment dans la production de sucre raffiné.

« Ce n’est pas une décision pour la santé des Canadiens, c’est une décision à des fins commerciales pour faciliter l’importation des betteraves à sucre des États-Unis. Pourtant, le travail de Santé Canada est de défendre la santé de la population avant tout et pas la santé des entreprises », déplore Laure Mabileau.

Au Canada, le fludioxonil est appliqué sur les semences de betteraves à sucre, avant la plantation, pour prévenir l’apparition de maladies fongiques pendant les premiers stades de végétation. Aux États-Unis, le fludioxonil est plutôt pulvérisé directement sur les racines de betteraves à sucre après la récolte.

« Un signal erroné »

Pour la directrice de l’Association pour le commerce biologique du Canada, Tia Loftsgard, cette consultation « envoie un signal totalement erroné non seulement aux partenaires commerciaux, mais aussi aux Canadiens ».

Le gouvernement s’est engagé, lors de la COP15 sur la biodiversité en décembre, à réduire les pesticides au moins de moitié d’ici à 2030.

L’augmentation des limites maximales de résidus est le contraire de ce que nous avons promis au monde pour la biodiversité, et le contraire de ce qui est nécessaire pour la santé humaine.

Meg Sears, présidente de l’organisme Prevent Cancer Now, qui prône l’agriculture résiliente

De son côté, la présidente de l’organisme canadien Safe Food Matters, Mary Lou McDonald, a tenté mercredi d’obtenir l’évaluation des risques alimentaires pour le fludioxonil auprès de Santé Canada, sans succès. « Ils cachent les données. Je dois signer une déclaration sous serment », déplore-t-elle. Afin d’y avoir accès, elle doit remplir une déclaration solennelle pour l’examen de données d’essai confidentielles dans la salle de lecture.

« Faux sentiment de sécurité »

Le mois dernier, le DBruce Lanphear, coprésident du comité scientifique indépendant sur les pesticides de Santé Canada, a démissionné de son poste en critiquant sévèrement l’agence fédérale.

« De façon troublante, je m’inquiète que le Comité consultatif scientifique – et mon rôle de coprésident – ne donne un faux sentiment de sécurité, à savoir que l’ARLA [Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire] protège les Canadiens contre les pesticides toxiques. Sur la base de mon expérience au cours de l’année écoulée, je ne peux pas donner cette assurance », avait-il écrit dans sa lettre que démission rédigée en anglais.

Santé Canada invite les Canadiens à formuler des commentaires écrits sur l’augmentation proposée de la limite de fludioxonil d’ici au 10 septembre.

Avec la collaboration de Daphné Cameron, La Presse

L’histoire jusqu’ici

Juillet 2021 : Santé Canada songe à autoriser une plus grande quantité de résidus de glyphosate, un herbicide, sur plusieurs aliments, ainsi que de deux pesticides dans les petits fruits.

Août 2021 : Devant la controverse que suscite cette décision, le gouvernement suspend temporairement l’augmentation des seuils de tolérance. Il annonce aussi qu’il renforcera la capacité et la transparence du processus d’examen des pesticides.

Juin 2022 : Santé Canada crée le Comité consultatif scientifique sur les produits antiparasitaires. Le DBruce Lanphear est nommé à la tête de ce groupe composé de neuf experts indépendants.

Juin 2023 : Ottawa autorise de nouveau l’augmentation des limites maximales de résidus, le DBruce Lanphear démissionne de son poste et Santé Canada annonce une première consultation sur la hausse du seuil de tolérance concernant le fludioxonil.