Le projet de loi québécois visant à empêcher qu’un agresseur sexuel puisse revendiquer la paternité d’un enfant conçu lors d’un viol est bien reçu. Sa mise en application – entre autres les modalités liées aux responsabilités financières du violeur – soulève cependant certaines questions.

Ajouté après coup au vaste projet de réforme du droit de la famille, ce projet de loi spécifique découle du témoignage d’Océane*, une jeune femme tombée enceinte après avoir été violée par son colocataire. Le violeur, qui a ensuite agressé d’autres femmes, a fini par revendiquer la paternité de l’enfant d’Océane.

Cette histoire, racontée dans La Presse, avait touché Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice, qui a décidé de modifier la loi1. Elle a fait l’objet de consultations ces derniers jours.

Le projet de loi entend permettre à un enfant, lorsqu’il est issu d’une agression sexuelle, de contester sa filiation avec l’agresseur ou de s’opposer à ce qu’une telle filiation soit établie. Il rend de plus cet agresseur responsable de contribuer à satisfaire aux besoins de l’enfant, par le paiement d’une indemnité à la personne victime de l’agression sexuelle. Il prévoit également la possibilité pour l’enfant d’être considéré comme un descendant au premier degré, à des fins d’héritage.

Calcul de l’indemnité

Dans son mémoire, Michaël Lessard, qui enseigne le droit de la famille à l’Université McGill, souligne que le projet de loi suscite plusieurs questions, dont celles-ci : comment calculer les besoins de l’enfant ? Quelle part des besoins doit être assumée par l’agresseur ? Comment la victime obtient-elle le paiement de l’indemnité ? Comment prouver le viol en contexte conjugal ?

Michaël Lessard propose entre autres que le ministre de la Justice soit habilité à déterminer par règlement les barèmes du calcul de l’indemnité. Il propose aussi qu’on précise que l’agresseur est responsable de l’entièreté des besoins financiers de l’enfant.

Considérant que la victime n’a pas consenti à l’agression sexuelle ayant mené à la naissance de l’enfant, on comprend que l’agresseur devrait prendre la responsabilité pour tous les dommages en résultant.

Extrait du mémoire de Michaël Lessard, qui enseigne le droit de la famille à l’Université McGill

Du projet de loi, Michaël Lessard comprend qu’on envisage le paiement d’une somme globale, qui serait probablement trop élevée, soulève-t-il, pour que l’agresseur puisse la verser d’un coup. Il suggère donc la mise en place d’un mécanisme semblable aux retenues à la source pour les pensions alimentaires afin de « créer une distance entre la victime et l’agresseur ».

Mise en application difficile

Pour sa part, le Barreau du Québec fait observer que le régime de déchéance de l’autorité parentale fait partie du Code civil du Québec « depuis de nombreuses années et [que] les critères jurisprudentiels applicables sont bien établis et stables ». Il propose donc une modification du mécanisme de déchéance de l’autorité parentale « afin de clarifier qu’il s’applique aux enfants issus d’une agression sexuelle ».

Le Barreau suggère lui aussi que l’indemnité prévue au projet de loi soit assimilée à une pension alimentaire et que le programme de Revenu Québec soit donc mis en application. Cela permettrait « à la victime de ne pas avoir à faire exécuter le jugement par elle-même », est-il avancé.

Saluant le courage d’Océane et les buts du projet de loi, le Réseau des centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) juge néanmoins sa mise en application difficile dans la mesure où il repose sur la nécessité de prouver qu’il y a eu agression sexuelle, alors que cela « se produit dans presque tous les cas dans l’intimité, à l’abri du regard de témoin qui pourrait corroborer les faits ».

* La Presse a modifié le prénom d’Océane afin de protéger l’identité de la victime et de l’enfant.

1. Lisez la chronique d’Isabelle Hachey à ce sujet