Le gouvernement Trudeau a entrepris d’expliquer à des centaines de fonctionnaires américains l’A B C d’une politique axée sur l’égalité des genres.

Des documents obtenus par La Presse démontrent que des séances de formation ont été offertes aux fonctionnaires américains depuis novembre 2021 afin de les aider à mieux comprendre les tenants et aboutissants de l’Analyse comparative entre les sexes plus, également connu sous l’acronyme ACS Plus.

Essentiellement, l’ACS Plus est une politique qui consiste à évaluer les répercussions potentielles des programmes ou des initiatives du gouvernement fédéral sur les femmes, les hommes et les personnes de diverses identités de genre. Le gouvernement Trudeau a fait de cette analyse la pierre angulaire de ses budgets en adoptant en 2018 la Loi canadienne sur la budgétisation sensible aux sexes.

À Ottawa, on soutient que l’ACS Plus a notamment mené à l’élaboration de mesures importantes comme le programme national de garderies ou encore la Stratégie pour les femmes en entrepreneuriat, entre autres choses.

Une première aux États-Unis

Après l’arrivée au pouvoir du démocrate Joe Biden, le gouvernement des États-Unis s’est doté pour la première fois d’une politique nationale sur l’égalité des genres et l’équité, en octobre 2021.

Près de 1000 fonctionnaires américains ont suivi la formation, selon les documents obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Des membres de la Maison-Blanche qui sont responsables du dossier de l’égalité des genres l’ont également suivie.

Jusqu’ici, deux séances de formation ont été offertes. Une troisième est prévue au cours des prochaines semaines.

« Cela représente une occasion importante de renforcer la collaboration entre le Canada et les États-Unis pour faire avancer le dossier de l’égalité de genres, en particulier sur les questions de l’équité salariale », peut-on lire dans les documents obtenus par La Presse.

Ces documents font partie d’une note d’information préparée par le Bureau du Conseil privé à l’intention du premier ministre Justin Trudeau en prévision du Sommet des dirigeants nord-américains qui a eu lieu à Washington les 17 et 18 novembre 2021.

Au cabinet de la ministre des Femmes, de l’Égalité des genres et de la Jeunesse (FEGC), Marci Ien, on a indiqué que le Canada et les États-Unis collaborent de plus en plus dans ce dossier depuis l’arrivée de Joe Biden au pouvoir. La ministre Ien chapeaute les efforts du gouvernement fédéral pour « faire progresser l’égalité entre les genres et assurer une plus grande inclusion des personnes dans toute leur diversité, dans tout le Canada ».

« En ce qui a trait à la formation sur l’ACS Plus offerte aux fonctionnaires des États-Unis, la collaboration entre FEGC et les États-Unis s’est intensifiée à la suite des élections présidentielles de 2020. La nouvelle administration américaine a démontré un intérêt plus marqué envers le travail multilatéral sur les questions relatives à l’égalité des sexes et l’ACS Plus », a indiqué le directeur des communications de la ministre Ien, Riyadh Nazerally, dans un courriel à La Presse.

M. Nazerally a indiqué que FEGC avait donné une première séance technique le 15 novembre 2021. « La seconde séance d’information s’est tenue le 22 février 2022 et des fonctionnaires de FEGC et du ministère des Finances Canada y ont pris part. Cette séance portait principalement sur l’approche du Canada en matière de budgétisation sexospécifique », a-t-il précisé.

Une troisième séance doit avoir lieu au cours des prochains mois afin de permettre aux hauts fonctionnaires de discuter des points saillants des séances précédentes et de déterminer les domaines d’échanges futurs.

Le Canada n’est pourtant pas un « premier de classe »

Selon Geneviève Tellier, professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa et auteure d’une récente étude sur le sujet, le gouvernement a indubitablement un rôle à jouer pour réduire les inégalités entre les hommes et les femmes.

Mais elle se dit « un peu surprise » que les services du gouvernement canadien soient retenus pour donner des séances de formation aux fonctionnaires américains.

Le Canada n’est pas vraiment le leader en la matière, comme la Suède ou les Pays-Bas. C’est tout récent que l’on s’intéresse à cela ici. Il y a eu un document qui a été produit par l’OCDE en 2017 et à l’époque, le Canada n’était même pas sur la liste des pays. Justin Trudeau a changé les choses après être arrivé au pouvoir, mais ça demeure timide.

Geneviève Tellier, professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa

En vertu de la Loi canadienne sur la budgétisation sensible aux sexes, le gouvernement fédéral doit présenter un rapport annuel qui accompagne le budget et qui explique les analyses comparatives des propositions budgétaires qui ont été réalisées.

« Oui, il y a eu des choses qui ont été faites. Mais je suis quand même critique parce que le gouvernement libéral est toujours bon pour adopter des processus, mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. Il n’y a pas d’objectifs à long terme », a dit Mme Tellier, relevant que certaines analyses menées sont parfois superficielles.

« Je ne dis pas que ce que fait le Canada n’est pas bon, loin de là. Mais le Canada n’est pas non plus un premier de classe. »

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse