Près d’un millier d’enfants de 5 ans et moins se trouvaient sur la liste d’attente de la DPJ lorsque la coroner Géhane Kamel a récemment recommandé de les évaluer sans délai dans la foulée de la mort du jeune Thomas Audet. Une mission impossible, dans les circonstances, sans nuire au traitement des plus âgés, répond le milieu.

Plus précisément, 915 enfants de 5 ans et moins étaient classés selon un code de priorité 3 sur la liste d’attente de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) en date du 19 février dernier, selon des chiffres fournis par le ministère de la Santé et des Services sociaux.

C’est ce jour-là que la coroner Géhane Kamel a rendu public son rapport au sujet du cas tragique du jeune Thomas Audet, mort d’un coup à l’abdomen infligé dans des circonstances nébuleuses en 2016, à Alma⁠1.

Tous les signalements reçus par la DPJ sont classés selon un code de priorité. Le protocole de l’organisme prévoit qu’un enfant classé selon un code de priorité 1 doit être rencontré pour être évalué immédiatement ; un code 2, en moins de 24 heures ouvrables, et un code 3, en moins de quatre jours ouvrables.

Or, selon le témoignage d’un spécialiste en activité clinique à l’enquête publique sur la mort de Thomas Audet, les « codes 3 » seraient, en réalité, plutôt traités dans un délai de plus ou moins 30 jours.

C’est d’ailleurs ce qui s’est produit pour le garçon de 20 mois, classé en priorité 3 à la suite d’un signalement reçu par la DPJ le 17 mai 2016, environ un mois avant sa mort. Sur la liste d’attente pendant environ 30 jours, il est mort la veille de son assignation à un intervenant.

« Vraiment surpris »

D’où la recommandation de la coroner d’implanter, à la DPJ, une « mesure d’exception » selon laquelle tous les enfants âgés de 5 ans et moins qui font l’objet d’un signalement « doivent faire l’objet d’une évaluation sans délai et d’un suivi journalier de la situation » compte tenu de la vulnérabilité.

Une mission quasi impossible dans le contexte de manque de main-d’œuvre à la DPJ sans nuire au service offert aux plus vieux, admet le syndicat qui rassemble ses intervenants, l’Alliance du personnel professionnel et technique en santé et services sociaux (APTS).

« Vraiment surpris » du nombre d’enfants de 0 à 5 ans classés selon un code de priorité 3 sur la liste d’attente de la DPJ, le président de l’APTS, Robert Comeau, juge la situation « inacceptable ». S’il se dit « en faveur » de prioriser les tout-petits, Robert Comeau croit toutefois que cela se ferait « au détriment de d’autres », c’est-à-dire les plus vieux, et potentiellement ceux classés selon un code de priorité 1 ou 2.

Des impacts importants

Même son de cloche à Québec, où le cabinet du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, craint aussi les effets d’une priorisation des 5 ans et moins sur les autres enfants plus vieux.

« L’intervention rapide peut être nécessaire pour des enfants de différents âges selon leur vulnérabilité et la gravité de la situation. Considérant qu’environ le tiers des signalements concernent les enfants de 0-5 ans, les catégoriser automatiquement en code 1 aurait des impacts importants sur le traitement des dossiers code 1 des enfants plus âgés », a fait savoir son attaché de presse, Lambert Drainville, dimanche.

On doit continuer à traiter les signalements selon l’ensemble des éléments, et non seulement l’âge, surtout dans un contexte difficile de main-d’œuvre.

Lambert Drainville, attaché de presse du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant

M. Drainville précise que la priorisation se fait « peu importe l’âge, en fonction de divers facteurs ».

Québec estime d’ailleurs agir assez rapidement dans le cas des enfants classés selon des codes de priorité 1 et 2, des acquis fragiles qui pourraient être mis en danger si l’on traitait immédiatement tous les cas de très jeunes enfants.

Dégager du temps

La solution, selon Robert Comeau, est déjà bien connue : ajouter du personnel à l’évaluation, l’étape qui suit la priorisation. « On parle de milliers de personnes, pas de centaines », juge-t-il.

Une réorganisation du travail à la DPJ pourrait également porter ses fruits, selon lui, dans la mesure où elle rendrait le travail de ses intervenants plus attractif. « Surtout comment on retient nos plus anciens, parce que notre expertise a tendance à quitter [le métier] parce que c’est trop difficile, parce qu’il n’y a pas de remplacement, mais il faudrait leur dégager un peu de temps pour justement prendre soin de ceux et celles qui arrivent », explique le président de l’APTS.

« Il faut que ça devienne un milieu attrayant pour que les gens viennent y travailler, viennent y faire carrière, mais on est loin de ça », ajoute-t-il, en insistant sur ses attentes vis-à-vis du budget que présentera le gouvernement Legault le 21 mars prochain.

Il s’agissait d’ailleurs de la seconde recommandation de la coroner Géhane Kamel dans son rapport sur la mort de Thomas Audet : « Valoriser la pratique professionnelle au sein des DPJ par le biais du recrutement et de la rétention du personnel, notamment en s’assurant de ratios adaptés aux besoins des clientèles visées. »

1. Lisez « Mort de Thomas Audet : des “drapeaux rouges” ont été ignorés »
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    Nombre de noms inscrits sur la liste d’attente de la DPJ qui, après avoir atteint une longueur record de plus de 5100 noms durant le temps des Fêtes, ne semble pas vouloir raccourcir.
    SOURCE : ministère de la Santé et des Services sociaux