« Plus de doute que de confiance » sur le terrain

Cette fois, c’est la bonne, promet le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI). Maintes fois annoncé, jamais livré, l’ambitieux projet de guichet unique permettant d’accéder facilement à tous les cours de francisation offerts par Québec ouvrira comme prévu dans moins de six mois, assure le Ministère.

« Ces travaux, de grande ampleur, sont bien amorcés et permettront la mise en opération de Francisation Québec le 1er juin 2023 », nous a indiqué la porte-parole du MIFI, Marie-Hélène Blouin, par courriel.

Le Ministère est déjà « la porte d’entrée unique » pour les cours à temps complet et ce sera « la même logique pour le temps partiel » le 1er juin prochain. La francisation en entreprise relèvera aussi de Francisation Québec.

« Le portail technologique […] sera facile d’utilisation et clair pour les clients », affirme Mme Blouin.

Francisation Québec est une « unité administrative » créée par la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (loi 96), qui prévoit son entrée en vigueur le 1er juin 2023.

Promis en 2008

Ce projet de guichet unique n’en est cependant pas à sa première annonce. En 1998, un groupe de travail sur la francisation en propose l’idée à ce qui s’appelait alors le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration (MRCI).

Dix ans plus tard, en 2008, la ministre libérale Yolande James, responsable du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC), annonce qu’un « guichet unifié d’accès aux services de francisation » sera mis en œuvre l’année suivante.

À l’automne 2011, le rapport annuel de gestion du MICC annonce que « la mise en œuvre du guichet suivra en 2012-2013 ». Elle sera plutôt stoppée. « Le projet a été arrêté en juin 2012 », rappelle une étude de faisabilité obtenue par La Presse.

En 2017, le plan d’action du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI) annonce l’implantation d’un guichet unifié du « printemps 2018 à [l’]été 2019 ».

Rendu au printemps 2018, c’est plutôt « septembre 2019 » qui est évoqué par un sous-ministre adjoint devant un comité de l’Assemblée nationale – pour l’implantation de la première phase, destinée à la clientèle à temps complet.

En octobre 2019, l’état d’avancement du guichet pour les services à temps complet figure dans le rapport annuel du MIFI. Il est de 3 %.

Au 30 septembre dernier, il était de 39 %, indique le MIFI, en précisant que ce chiffre tient compte des trois phases du projet (avant-projet, planification, exécution).

« L’information est disséminée »

Personne ne remet en question la pertinence d’un guichet unique pour aider les non-francophones à s’y retrouver dans l’offre de francisation gouvernementale.

PHOTO FOURNIE PAR STÉPHANIE ARSENAULT

Stéphanie Arsenault, professeure de sciences sociales à l’Université Laval

« Il y a encore beaucoup de gens qui n’y accèdent pas parce qu’ils n’arrivent pas à comprendre comment ça marche et comment avoir des informations claires », témoigne Stéphanie Arsenault, professeure de sciences sociales à l’Université Laval, qui a mené des recherches sur les travailleurs étrangers temporaires (TET) et les demandeurs d’asile. « Le guichet, en principe, si ça simplifiait l’accès à l’ensemble des programmes, ce serait tant mieux ! »

La création d’un « guichet unifié » avait d’ailleurs été désignée comme un élément à développer par le Vérificateur général (VG) dans son audit dévastateur sur la francisation des immigrants, en 2017.

« L’information est disséminée sur les sites internet de chaque ministère et de chaque commission scolaire, ainsi que sur le site Portail Québec de Services Québec, la plupart du temps sans lien entre eux », a constaté l’étude de faisabilité produite l’année suivante. Ce rapport faisait aussi état d’une information « complexe pour un client qui parle peu français », et d’un « dédoublement » des processus et tâches administratives.

« En devenant l’unique point d’accès, Francisation Québec constituera un dossier de francisation [qui] regroupera toutes les informations relatives à la francisation d’un client – par exemple, ses demandes, ses formations, ses documents déposés ou reçus, l’accès à son journal des activités et à ses allocations », indique Mme Blouin.

Des questions sur ce projet de guichet ont été posées dans une récente rencontre d’intervenants en immigration de la Ville de Québec, mais les fonctionnaires du MIFI n’ont pas fourni de réponses, signale la professeure Arsenault.

« Sur le terrain, il semble y avoir beaucoup plus de doute que de confiance que ça va prendre forme, parce que ça fait tellement longtemps que ça se parle… »

Le nom « Francisation Québec » est déjà pris

Quand on tape l’expression « Francisation Québec » dans un moteur de recherche comme Google, le nom de domaine francisationquebec. com apparaît très haut dans les résultats. Cette page web, tout comme francisationquebec. ca, renvoie au site de l’école de langues Clic Montérégie. Interrogé sur son intention de récupérer ce nom de domaine, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) ne s’est pas prononcé.

« Pour le MIFI, l’important est que la personne trouve les bons services et que l’information soit complète, simple et cohérente », a répondu la porte-parole du Ministère, Marie-Hélène Blouin, par courriel.

Clic Montérégie a reçu un appel du MIFI à l’automne, « mais sans plus », indique le propriétaire de l’entreprise. « On est censés se reparler au début de l’année », a précisé Patrick Fortin en entrevue téléphonique.

L’entrepreneur dit avoir acheté ces noms de domaine pour promouvoir ses services de francisation en entreprise à l’été 2020, sans savoir que « Francisation Québec » serait dans la loi 96.

On va négocier quelque chose, [mais] ce n’est pas mon intention d’utiliser cette occasion pour faire un coup d’argent.

Patrick Fortin, propriétaire de l’entreprise qui détient les noms de domaine

Québec ne serait pas obligé de racheter ces noms de domaine, estime la consultante et auteure Michelle Blanc, spécialiste du marketing internet.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Michelle Blanc, spécialiste du marketing internet

« Je trouverais d’autres avenues. Quand tu parles une autre langue, que vas-tu chercher, et comment ? Vas-tu chercher « francisation » quand tu ne connais même pas ce mot ? soulève Mme Blanc. Idéalement, tu fais une recherche de mots-clés : il y a des outils qui permettent de voir ce que les gens cherchent réellement. »

En ce moment, quand on tape « apprendre le français » dans un moteur de recherche, le premier lien qui s’affiche mène à une page du site quebec. ca « qui permet d’avoir tous les détails de l’offre gouvernementale en francisation », fait valoir Mme Blouin.

« Ce site sera bonifié à l’entrée en vigueur de Francisation Québec pour conduire vers l’unique point d’accès pour les personnes désirant recevoir des services d’apprentissage du français. »

Précision :
Le propriétaire de Clic Montérégie est Patrick Fortin, et non Bernard Fortin comme il avait été mentionné dans une version antérieure de cet article.

En savoir plus
  • 37 317
    Nombre de personnes ayant fréquenté un des services de francisation du MIFI dans la dernière année (du 1er avril 2021 au 31 mars 2022), à temps partiel ou complet, ou en ligne. Ce chiffre n’inclut pas les élèves de la formation aux adultes du ministère de l’Éducation ni la francisation en entreprise.
    Source : ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI)
    21 763
    Nombre d’inscriptions en francisation à la formation générale des adultes du ministère de l’Éducation pour l’année scolaire 2020-2021. Le total pour 2021-2022 pourra être calculé seulement après la lecture des données effectuée en janvier 2023, indique le Ministère.
    Source : ministère de l’Éducation du Québec (MEQ)