Une cycliste gravement blessée lors d’une chute après avoir été frôlée mais non heurtée par une personne qui conduisait un véhicule automobile pourra être dédommagée par la SAAQ.

C’est ce qu’a récemment conclu le Tribunal administratif du Québec (TAQ) dans une décision qui écorche au passage le travail des policiers de la Sûreté du Québec de la région de Rimouski.

« Quand j’ai lu la décision, j’ai éclaté en sanglots, explique Béatrice Létourneau. J’ai 30 ans, mais dans ma tête, j’ai encore 25 ans parce j’ai l’impression que ma vie est sur pause depuis cinq ans. »

Le 17 juillet 2017, Béatrice Létourneau, une cycliste aguerrie qui roulait plus de 20 000 km par année, a quitté la maison de ses parents dans la région de Rimouski pour se rendre au travail à vélo.

PHOTO FOURNIE PAR BÉATRICE LÉTOURNEAU

Béatrice Létourneau après son accident en 2017

Quelques minutes plus tard, la jeune femme a entendu le bruit d’un véhicule qui arrivait à haute vitesse derrière elle. La peur l’a envahie, et le véhicule est passé si près d’elle que la cycliste s’est sentie aspirée. C’est là que prennent fin ses souvenirs de l’accident.

Béatrice a fait une chute et a subi une grave fracture au visage, un traumatisme crânien, en plus d’avoir plusieurs dents brisées et deux fractures dorsales.

Un bon samaritain qui passait par là a dit avoir vu un automobiliste rouler de façon étrange près du site de l’impact, avant de poursuivre sa route et de quitter les lieux. Dans leur rapport d’évènement, les policiers de la Sûreté du Québec n’ont pas indiqué qu’un véhicule automobile était impliqué ni cherché à interroger ce témoin, qui pourtant se trouvait sur place et portait assistance à la victime.

« Refus après refus »

Durant son hospitalisation, Béatrice Létourneau ne pouvait pas parler et écrivait ses demandes sur un tableau blanc. Après sa sortie de l’hôpital, elle a dû payer de sa poche les frais pour la reconstruction de ses dents, la réparation de son nez et de ses cicatrices, puisque la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) a refusé sa demande d’indemnité.

« C’était refus après refus, c’était la bureaucratie, dit-elle. C’était extrêmement difficile. Le message, c’était que ma vie n’avait pas d’importance. »

Ces frais s’élevaient à 50 000 $, une somme dont elle ne disposait pas. Par conséquent, cinq ans après l’accident, elle n’a pas retrouvé toutes ses dents.

PHOTO FOURNIE PAR BÉATRICE LÉTOURNEAU

Béatrice Létourneau en 2018

La jeune femme détient un baccalauréat en musique classique et envisageait d’aller chanter en Europe. Mais son accident a mis fin à son rêve.

« Avant, j’étais une fille qui souriait tout le temps, une fille super positive. Je ne sortais pas, je ne buvais pas, je m’entraînais tout le temps. Aujourd’hui, j’ai peur de sourire. C’est difficile d’avoir un emploi à cause de mon apparence. Je prends des antidépresseurs pour garder le moral. Ça a affecté tous les aspects de ma vie. »

Béatrice Létourneau a lancé une page Gofundme durant la pandémie pour avoir de l’aide pour payer ses soins médicaux.

À travers cette épreuve, elle n’a jamais cessé de faire du sport, et est souvent au gym dès 5 h du matin. Le gym lui a donné un emploi.

L’avocat Marc Bellemare, qui l’a représentée, note que le cas de Béatrice Létourneau illustre le fait que la SAAQ ne croit pas les victimes d’accident.

Devant un tribunal, la preuve testimoniale est aussi importante que la preuve documentaire. Mais les fonctionnaires de la SAAQ n’accordent aucune importance à ce que les gens rapportent.

Marc Bellemare

Le tribunal vient aussi de statuer qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un contact physique entre le véhicule et la victime pour causer un accident reconnu par la SAAQ.

« C’est une décision importante, car ça vient élargir les critères d’admissibilité. Moi, je fais du vélo, et on a parfois l’impression que c’est devenu un sport extrême, alors c’est une décision qui mérite d’être connue. »

La SAAQ a dit qu’elle entendait se conformer à la décision. « Nous ne ferons pas appel de la décision du TAQ et le dossier d’indemnisation de Madame sera pris en charge rapidement pour le versement des indemnités prévues à la couverture d’assurance », a fait savoir son service des communications.

Aucune enquête

Béatrice Létourneau note que des informations inexactes écrites par les policiers de la Sûreté du Québec dans leur rapport le jour de l’accident l’ont mise en colère et ont complexifié ses interactions avec la SAAQ.

« Les policiers ont écrit dans leur rapport que je n’avais pas de fracture, alors que j’en avais. Ils ont noté que je n’avais pas de casque, alors que j’en avais un, et qu’il était fendu. Ils ont dit que c’était l’état de la chaussée qui m’avait fait chuter, sans jamais faire d’enquête ni même interroger le témoin. Pour moi, c’est de la négligence. »

À ce sujet, le TAQ reproche aux policiers provinciaux d’avoir « trop rapidement écarté l’implication d’une voiture dans la chute ».

Mme Létourneau ne sait pas encore à quoi ressemblera l’aide à laquelle elle aura droit. Son compte bancaire est à sec, elle a dû s’endetter et vient de conclure une entente pour vendre le vélo que lui avaient acheté ses parents après son accident.

« C’est la seule chose à laquelle je tenais, dit-elle. Ce vélo m’a sauvé la vie, c’était presque mon seul ami après mon accident. Mais ce n’est pas grave. J’ai des photos, j’ai des souvenirs. »

Consultez la page Gofundme de Béatrice Létourneau