(Québec) Il est trop tôt selon François Legault pour dire si Québec interjettera appel du jugement de la Cour supérieure qui ordonne la fin des interceptions sans motif réel des automobilistes. Selon le premier ministre, les interpellations aléatoires peuvent s’expliquer dans certains contextes, notamment dans la lutte contre la violence armée. « Il faut laisser les policiers faire leur travail », a-t-il affirmé.

Dans une décision rendue publique mardi, le juge Michel Yergeau a déclaré que les dispositions législatives qui autorisent les interceptions routières sans motif réel briment les droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Selon le juge, ce pouvoir arbitraire sert à certains policiers de « sauf-conduit de profilage racial à l’encontre de la communauté noire ».

« Le profilage racial existe bel et bien. Ce n’est pas une abstraction construite en laboratoire. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Elle se manifeste en particulier auprès des conducteurs noirs de véhicules automobiles. Les droits garantis par la Charte [canadienne des droits et libertés] ne peuvent être laissés plus longtemps à la remorque d’un improbable moment d’épiphanie des forces policières », a conclu le juge, qui accorde toutefois un délai de six mois dans l’application de sa décision.

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François Legault, premier ministre du Québec

Dans une mêlée de presse avant le Conseil des ministres à Québec, François Legault a rappelé que son gouvernement avait mis en place des mesures contre le profilage racial dans son plan de lutte contre le racisme. « C’est un jugement qui est long et qui doit être analysé », a-t-il ajouté.

« Par contre, quand on parle d’interpellations aléatoires, il faut comprendre qu’il faut laisser les policiers faire leur travail. Quand on voit la violence qu’il y a à Montréal dans certains quartiers, il faut aussi… », a-t-il dit sans terminer sa phrase.

« Moi, j’ai totalement confiance aux policiers et c’est important de les appuyer », a-t-il finalement conclu.

Québec reverra-t-il son plan ?

Ces brèves déclarations du premier ministre contrastent toutefois avec une recommandation du Groupe d’action contre le racisme, que François Legault avait créé en juin 2020 dans la foulée de la mort de l’Américain George Floyd. Dans son rapport, le groupe d’action – composé de trois ministres et de quatre députés caquistes – demandait de « mettre fin aux cas de discrimination policière ».

« Malgré tous les efforts entrepris, les questions du profilage racial lors des interpellations policières et des violences policières liées au racisme semblent toujours présentes et continuent de soulever beaucoup de réactions dans les milieux qui en sont victimes », pouvait-on lire dans le rapport. Il ajoutait qu’il faut « rendre obligatoire l’interdiction des interpellations policières aléatoires ».

« Plus jeune, j’ai vécu du racisme. Je me suis fait interpeller quelques fois de façon aléatoire parce que je roulais avec la voiture de mes parents. Je me suis toujours dit par la suite que je ne voulais pas que mes enfants et mes petits-enfants aient à subir ça dans leur vie et que si je pouvais faire avancer les choses dans la bonne direction, j’allais le faire. Aujourd’hui, on m’en donne l’opportunité et je la saisis », avait également déclaré le ministre Lionel Carmant, qui coprésidait le groupe.

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Lionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux

En réaction au rapport, un projet de loi sur la police, déposé en décembre 2021 par l’ex-ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault, visait également à établir des « lignes directrices [pouvant] porter notamment sur l’absence de discrimination dans les activités policières ». Le projet de loi n’a pas été étudié avant les élections et il est donc mort au feuilleton, lors de la dissolution de la Chambre.

Le nouveau ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, a brièvement commenté le jugement, mercredi, affirmant qu’il tient d’abord à « saluer le travail des policiers et réitérer la confiance que j’ai en eux ».

« On est sensibles face à la situation de profilage racial, comme le démontrent nos actions antérieures. Nous prendrons le temps de bien analyser le jugement qui a été rendu [mardi]. Nous n’émettrons pas d’autres commentaires pour le moment », a-t-il dit.

« Impacts sur la sécurité publique »

Plus tôt mercredi, l’Association des directeurs de police du Québec (ADPQ) a affirmé que le jugement prononcé par la Cour supérieure pour limiter le profilage racial pourrait entraîner une augmentation des morts sur la route.

« Nous croyons que ça va avoir des impacts sur la sécurité publique, sur la sécurité routière », a affirmé Pierre Brochet, président de l’organisation et chef de police de Laval. À son avis, retirer le pouvoir d’interception, « c’est une mesure qui est extrême » qui remettrait selon lui en question la légalité des barrages routiers anti-alcool au volant.

Le jugement du juge Yergeau est la conclusion d’une procédure intentée par un étudiant d’origine congolaise, Joseph-Christopher Luamba, qui s’est adressé à la Cour supérieure afin de faire déclarer inconstitutionnelles les interpellations aléatoires des automobilistes par les policiers. M. Luamba a été interpellé sans aucun motif à trois reprises entre 2019 et 2020 alors qu’il était au volant. D’autres personnes noires qui ont témoigné au procès ont raconté avoir été interceptées de la même façon.

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Joseph-Christopher Luamba

« Pour banales qu’elles puissent paraître, ces interceptions routières se révèlent intolérables aux intéressés puisqu’elles reposent sur des apparences et des préjugés plus ou moins conscients associés à la couleur de leur peau plutôt que sur un objectif de sécurité routière », a dit le juge.

Avec Philippe Teisceira-Lessard, Tommy Chouinard et Louis-Samuel Perron, La Presse