Une Montréalaise qui avait quitté le pays en 2014 pour rejoindre les djihadistes du groupe armé État islamique au Moyen-Orient sera accusée d’une série d’infractions liées au terrorisme, à la suite d’une délicate opération de rapatriement, a appris La Presse. Ses deux enfants nés outre-mer, qui n’ont connu à ce jour que la guerre, les camps de détention et la tyrannie islamiste, auront droit à un nouveau départ au Québec.

Pour Oumaima Chouay, une ancienne résidante de Pierrefonds, c’est la fin d’un long voyage en enfer. La Montréalaise devait revenir au pays entre mardi et mercredi, selon les plans des autorités. Il y a longtemps qu’elle n’avait pas foulé le sol du Québec. Elle sortait à peine de l’adolescence, en 2014, lorsqu’elle a quitté sa famille pour plonger volontairement dans la guerre qui déchirait la Syrie et l’Irak. Selon ce que ses proches ont raconté à plusieurs intervenants au fil des années, elle visionnait une grande quantité de vidéos de guerre sur l’internet et se montrait très préoccupée des souffrances de la population syrienne.

Issue d’une famille qui n’avait rien de fondamentaliste, elle semblait avoir adopté une interprétation radicale de l’islam avant son départ, toujours selon ce que ses proches ont raconté aux intervenants qui ont aidé la famille.

À l’époque, de nombreux Canadiens avaient répondu à l’appel du groupe armé État islamique (Daech) qui invitait ses sympathisants à émigrer pour venir grossir ses rangs. Dans une déclaration assermentée déposée au palais de justice de Montréal, un enquêteur de l’Équipe intégrée de la sécurité nationale de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) avait souligné que plusieurs enquêtes avaient été ouvertes sur ces « voyageurs à haut risque » à partir de 2013.

« L’expérience de combat qu’ils ont acquise ainsi que l’allégeance qu’ils portent aux entités terroristes pourraient poser une menace directe à la sécurité nationale du Canada », écrivait l’enquêteur, Rudin Gjoka.

Actes « horribles »

Pendant les années qu’Oumaima Chouay a passées au cœur du « califat » de l’organisation État islamique, le groupe a multiplié les tortures, décapitations, massacres et persécutions. Le chef de l’équipe des enquêteurs de l’ONU chargés de faire la lumière sur ceux-ci a dit que les crimes commis par les djihadistes constituaient « certains des actes les plus horribles que nous avons vus dans l’histoire récente ».

Rien n’indique toutefois que la Montréalaise a acquis une expérience de combat. Selon nos informations, elle a manifesté rapidement après son arrivée au Moyen-Orient un désenchantement face aux militants qu’elle côtoyait.

Après la naissance de ses deux enfants et la destruction du « califat » par une coalition internationale à laquelle participait le Canada, Oumaima Chouay s’est retrouvée dans un camp de détention de Syrie, où elle a croupi pendant des années. Jusqu’à ce que des responsables canadiens acceptent de la ramener. Avant de le faire, des enquêteurs spécialisés de la GRC ont soumis un dossier étoffé aux procureurs de la Couronne, selon nos sources, afin que la voyageuse ait à répondre de ses actes. Elle devrait faire face à plusieurs accusations criminelles, selon nos informations. Au Canada, il est illégal de quitter le pays pour rejoindre une entité terroriste et de faciliter des activités terroristes.

Oumaima Chouay devait revenir au pays à bord d’un avion américain, en compagnie de Kimberly Polman, une ancienne résidante de Vancouver qui avait elle aussi rejoint le groupe djihadiste il y a plusieurs années.

La prise en charge des enfants qui ont vécu sur le territoire contrôlé par les djihadistes et dans les camps de détention par la suite a été planifiée de longue date à Montréal. Un comité regroupant la Gendarmerie royale du Canada, la Direction de la protection de la jeunesse et des experts du réseau de la santé a été mis sur pied pour préparer leur retour au pays. « Tout a été prévu. On n’est pas dans l’improvisation », expliquait la pédopsychiatre Cécile Rousseau, membre du comité, dans une entrevue à La Presse en 2019. Déjà à l’époque, son équipe disait être prête à se rendre à l’aéroport « n’importe quand ».

Le sort des enfants sera au cœur de l’intervention. « Ils arrivent d’une zone de guerre et de camps où les conditions physiques et d’hygiène sont très pauvres. On sait qu’on va devoir mobiliser des acteurs en santé physique, en maladies infectieuses, en nutrition et en développement. On s’attend à avoir des gens qui sont en mauvais état physique », disait la Dre Rousseau en 2019.

Toujours un danger

Phil Gurski, un ancien analyste du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), estime que les Canadiens qui se sont joints volontairement à un groupe aussi violent et extrémiste que le groupe État islamique doivent être traduits en justice et séparés de leurs enfants dès leur retour au pays.

« Certaines femmes utilisent leurs enfants pour essayer d’obtenir un traitement plus favorable. Elles disent qu’elles doivent revenir à la maison pour le bien de l’enfant. Elles se présentent comme des victimes, qui n’ont pas vraiment participé aux actes répréhensibles. Or, elles se sont jointes volontairement à un groupe terroriste. Les enfants, eux, n’ont rien choisi.

C’est la même chose que n’importe quel criminel au Canada. Il existe des mécanismes pour leur retirer leurs enfants. Ils devraient être confiés à la famille étendue, si possible, et sinon aux services sociaux.

Phil Gurski, ancien analyste du Service canadien du renseignement de sécurité

L’organisation État islamique a beau avoir perdu l’immense territoire qu’elle contrôlait en Syrie et en Irak, elle demeure active et considère toujours le Canada comme un ennemi, souligne l’analyste. « À 100 % ils sont encore une menace. Ils sont actifs, ils mènent des attaques dans plusieurs pays, et plusieurs autres groupes inspirés d’eux sont nés dans différentes régions », dit-il.

La semaine dernière, la France a rapatrié 15 femmes et 40 enfants qui étaient détenus dans les camps de prisonniers du nord-est de la Syrie. Les mineurs ont été confiés aux services d’aide à l’enfance alors que les adultes ont été remises aux autorités judiciaires, selon un communiqué du ministère français des Affaires étrangères. La France avait déjà rapatrié des mères et des enfants par le passé, mais la Cour européenne des droits de l’homme avait ensuite blâmé Paris pour avoir négligé d’étudier de façon appropriée certaines demandes de rapatriement de personnes restées dans les camps.

Réticence canadienne

D’autres pays, comme l’Allemagne et la Belgique, ont rapatrié de nombreux citoyens qui avaient été capturés à l’étranger après s’être joints au groupe armé État islamique. Le Canada, lui, s’est montré réticent à les suivre. En 2019, un rapport de l’ONG Human Rights Watch blâmait Ottawa pour avoir abandonné ses ressortissants en raison de leurs liens avec le groupe djihadiste.

Le premier ministre Justin Trudeau avait souligné que le gouvernement ne souhaitait pas mettre ses employés en danger dans le cadre d’une telle mission. « Nous avons une responsabilité en tant que gouvernement de nous assurer que les Canadiens, particulièrement nos employés, ne sont pas mis en danger. La Syrie est un endroit où nous n’avons pas de diplomates ou de représentation », avait-il déclaré.

Une source judiciaire canadienne avait également souligné à La Presse, sous couvert de l’anonymat, que les autorités souhaitaient s’assurer de pouvoir déposer des accusations criminelles avant de rapatrier un ancien collaborateur d’un groupe terroriste.

Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse

En savoir plus
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    Nombre de Canadiens qui étaient détenus en Syrie en 2019
    Human Rights Watch
    10 ans
    Peine de détention maximale prévue par la loi pour une personne qui quitte ou tente de quitter le Canada dans le but de participer à des activités terroristes.
    Code criminel canadien