Un journaliste québécois auteur d’un article critique sur le financement d’une entreprise de véhicules électriques devra se défendre en Cour supérieure

Un journaliste québécois à la tête du site de nouvelles sur les véhicules électriques le plus lu de la planète est poursuivi en Cour supérieure du Québec par un homme d’affaires américain après avoir écrit un article critique sur la campagne de financement de son entreprise.

Fred Lambert, rédacteur en chef d’Electrek, un site avec 10 millions de lecteurs par mois, a publié le 6 juillet dernier un article dans lequel il détaillait les tentatives de Steven Saleen et de son entreprise Saleen Automotive de lever des fonds alors qu’une campagne de financement s’était mal terminée pour les actionnaires de l’entreprise dans le passé.

« Après avoir écrit son article, mon client a reçu une demande d’injonction et une citation à comparaître pour outrage au tribunal en ce qui concerne une injonction reçue il y a plusieurs années, explique MNeil A. Peden​, avocat du cabinet Spiegel Sohmer, qui représente Fred Lambert. C’est sûr que ça rend difficile le rôle de journaliste si une injonction vous empêche de parler de quelqu’un. »

En Cour supérieure du district de Longueuil, Steven Saleen et Saleen Automotive accusent Fred Lambert d’avoir enfreint les conditions d’une injonction adoptée en 2015 dans la foulée d’une série de billets publiés sur l’internet par M. Lambert et qui portaient sur les efforts de financement de l’entreprise à cette époque.

Fred Lambert avait en effet remarqué en 2014 que Saleen Automotive, une entreprise californienne de modification de voitures fondée par Steven Saleen, ancien pilote de course, faisait des publicités qu’il qualifiait de « douteuses ».

Par exemple, Saleen Automotive se vantait d’être en partenariat avec Tesla, mais j’ai contacté Tesla, et ils m’ont dit qu’ils ne connaissaient pas ces gens-là.

Fred Lambert, rédacteur en chef d’Electrek

À l’époque, M. Lambert n’était pas encore journaliste et a publié plusieurs billets sur le site d’Investors Hub et sur le forum Reddit afin d’alerter la communauté grandissante des gens qui s’intéressaient aux voitures électriques. Il a reçu une demande d’injonction de la part de Steven Saleen lui intimant de retirer ces billets.

« J’avais 23 ans et je n’avais pas d’argent, dit Fred Lambert. Tous les avocats que j’ai contactés m’ont dit qu’il me faudrait au moins 30 000 $ pour me défendre. Ils m’ont suggéré d’accepter l’injonction et de passer à autre chose, ce que j’ai fait. »

Tribunal de Longueuil

Dans les années qui ont suivi, la valeur de l’action de Saleen Automotive a chuté. « L’action est passée d’une valeur de 90 cents à une valeur d’une fraction de 1 cent, dit M. Lambert. Comme je le craignais, les petits investisseurs ont perdu leur argent. »

C’est après avoir réalisé cet été que Saleen Automotive venait de lancer une campagne de financement pour vendre des Tesla modifiées que Fred Lambert s’est à nouveau penché sur le sujet.

L’entreprise cherche à lever 20 millions de dollars, avec un investissement minimum de 500 $ par investisseur, note-t-il. « Le même scénario se répète, les mêmes personnes sont impliquées. »

Dans son matériel promotionnel, Saleen Automotive affirme qu’il s’agit de la première fois qu’elle offre au public la possibilité de devenir actionnaire de l’entreprise.

Ils essaient de faire comme si ce qui s’est passé sur les marchés n’était jamais arrivé.

Fred Lambert, rédacteur en chef d’Electrek

La Presse a offert une occasion de réagir aux avocats qui représentent Steven Saleen et son entreprise Saleen Automotive, mais ces derniers n’y ont pas donné suite.

Steven Saleen demande maintenant à un tribunal de Longueuil de déclarer Fred Lambert coupable d’outrage au tribunal pour avoir écrit sur le sujet cet été, et demande que le tribunal impose une deuxième injonction qui lui interdirait de façon permanente de faire allusion à son entreprise ou à ses associés.

MPeden, avocat de Fred Lambert, note que les ordonnances imposées il y a plusieurs années n’ont jamais été examinées.

« C’est assez extraordinaire qu’on puisse imposer des ordonnances aussi restrictives sans que personne ne s’oppose. On n’est pas ici devant un cas de diffamation grossière, sans but, où on a tenu des propos gratuits. Qu’il ait tort ou qu’il ait raison, mon client a effectué des recherches avant de dire ce qu’il a à dire. C’est un travail journalistique. »

Fred Lambert signale que son but n’est pas de défier la cour, mais de diffuser une information qui mérite d’être connue.

« Mais là, on a des millionnaires aux États-Unis qui utilisent le système de justice au Québec pour essayer de me faire taire et de m’intimider financièrement. Je ne crois pas que ce soit la volonté d’un tribunal de chercher à empêcher de l’information qui a une valeur pour le bien public d’être disséminée. »