(Canaan, Vermont) Pas toujours facile de traverser la frontière en période de pandémie, surtout lorsqu’on doit remplir le formulaire d’ArriveCAN et qu’on n’a pas l’habitude des applications mobiles. Mais grâce à une bibliothécaire du Vermont, des voyageurs peuvent franchir cette étape sans encombre.

« Vous faites un reportage sur la dame de la bibliothèque ? Elle est à quelques minutes d’ici ! »

Sur ces mots de l’agent des services frontaliers, La Presse traverse la frontière canado-américaine en direction de Canaan, petite ville du Vermont, où Sharon Ellingwood White dirige l’Alice M. Ward Library.

Cinq minutes plus tard, nous arrivons à destination. C’est dans cette bibliothèque jaune, bordée de verdure, que des voyageurs trouvent une solution au problème qui les préoccupe depuis quelques mois.

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La bibliothécaire Sharon Ellingwood White, devant l’Alice M. Ward Library

Sourire aux lèvres, Mme White nous fait visiter son lieu de travail.

Elle nous présente Ginette Rougeau Gagnon, résidante du coin. Originaire de Sherbrooke, la dame de 69 ans nous confie son désarroi face aux mesures instaurées pour « traverser les lignes ».

« C’est très embêtant pour nous parce que je veux aller mettre des fleurs sur la tombe de ma belle-mère et de mon beau-père. Mais il faut trouver un jour où on a le temps, il faut remplir le formulaire et il faut s’assurer d’arriver à l’heure [indiquée dans le formulaire]. »

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Sharon Ellingwood White aide Ginette Rougeau Gagnon (à droite) à remplir son formulaire sur ArriveCAN.

Mme Rougeau Gagnon s’est déjà rendue au Canada depuis qu’ArriveCAN, une application permettant notamment de déclarer ses symptômes de COVID-19, a été déployée. Elle trouve ce processus « énervant ».

Obstacles

Difficulté à télécharger ArriveCAN, manque d’appareils électroniques, connexion internet absente, incapacité à télécharger les preuves de vaccination… Certains voyageurs se butent à plusieurs obstacles avant de franchir la frontière canadienne.

Nous nous trouvons dans le comté le plus pauvre du Vermont et nous avons le plus grand nombre de résidants âgés. La plupart n’ont pas de téléphone portable ou l’internet.

Sharon Ellingwood White, bibliothécaire de Canaan, au Vermont

Mme White a commencé à soutenir sa communauté le jour où Jeannette Bélanger, une résidante de Canaan qui souhaitait traverser la frontière canadienne, lui a confié son désir de rendre visite à sa fille qu’elle n’avait pas vue depuis plusieurs années.

Vingt minutes de voiture, une frontière et l’application ArriveCAN les séparaient. Cet espace a pu être comblé grâce à Mme White. Et depuis, grâce au bouche-à-oreille, la nouvelle s’est propagée dans la petite ville vermontoise.

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L’Alice M. Ward Library à Canaan, au Vermont

Désireuse d’aider sa communauté, la bibliothécaire s’est portée volontaire pour permettre aux gens de retrouver leurs proches.

« Jeannette Bélanger connaît les dames à l’église. Les gens ont ensuite commencé à appeler. Tout le monde voulait aller au Canada et ils savaient que je pouvais les aider », déclare fièrement Mme White.

Une communauté bienveillante

La nouvelle s’est rendue jusqu’aux oreilles des agents des services frontaliers qui ont commencé à rediriger vers sa bibliothèque les voyageurs qui n’avaient pas rempli le formulaire ArriveCAN. Canadiens et Américains utilisent sa connexion internet ou lui demandent de l’aide.

Nous sommes vraiment une communauté transfrontalière. Nous avons tous un lien de l’autre côté de cette frontière, que ce soit pour le travail, la famille ou le commerce. Nous avons besoin les uns des autres.

Sharon Ellingwood White, bibliothécaire de Canaan, au Vermont

La Vermontoise est fière d’aider les voyageurs canadiens à rentrer au pays.

« Nous souhaitons qu’ils se disent que quelqu’un les a aidés alors qu’ils voyageaient et étaient vulnérables. Nous sommes une bibliothèque publique, nous aidons tous ceux qui entrent ici. »

Appel à l’aide au Canada

Le 11 mai dernier, Sharon Ellingwood White a décidé de lancer deux bouteilles à la mer. Elle a écrit au ministre de la Sécurité publique du Canada, Marco Mendicino, et à la ministre de la Sécurité publique et vice-première ministre du Québec, Geneviève Guilbault. Constatant le manque de réseau Wi-Fi aux frontières, elle a sollicité l’aide des deux ministres. Si le Canada a répondu à sa lettre, le Québec n’a pas encore accusé réception.

La bibliothécaire nous montre la réponse de l’équipe de M. Mendicino.

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Sharon Ellingwood White

« C’était une belle réponse. La lettre explique que le Canada ne changera pas ArriveCAN, mais qu’il souhaite renforcer la connexion Wi-Fi à nos frontières. »

Selon Sharon Ellingwood White, il est plus facile pour les Canadiens de télécharger leurs preuves de vaccination dans ArriveCAN, beaucoup les ayant déjà dans leur téléphone. Pour les Américains, c’est autre chose.

« Nos cartes de vaccin sont un bout de papier. Donc, si vous avez plus de 80 ans et que vous ne savez pas comment transformer votre carte de vaccin en fichier JPEG ou PDF pour ensuite le télécharger dans une application sur un appareil que vous n’avez pas… C’est ça, la barrière », déplore-t-elle.

Craintes des personnes âgées

Mme Rougeau Gagnon regrette l’époque où elle pouvait traverser la frontière sans encombre.

« On avait l’habitude de se lever le matin et de décider d’aller à Coaticook faire nos courses et manger de la poutine. Et maintenant, on doit faire tout ça… »

Selon Mme White, la technologie ne devrait pas être « imposée aux personnes âgées ». Certains résidants de Canaan doivent se rendre au Canada pour assister à des funérailles ou obtenir de l’aide médicale, mais ils craignent d’être refoulés à la frontière et beaucoup ne savent pas comment utiliser ArriveCAN.

Tant que la situation ne sera pas réglée, Sharon Ellingwood White continuera d’aider les Canadiens et les Américains qui souhaitent traverser la frontière.

« Je ne suis pas unique. Je ne fais rien que personne d’autre dans une bibliothèque n’importe où dans le monde ne fait pas », affirme-t-elle humblement.