Les 20 directeurs de la protection de la jeunesse (DPJ) réclament d’être entendus lors de la commission parlementaire qui se penche actuellement sur le projet de loi 15, modifiant en profondeur la Loi sur la protection de la jeunesse, dont ils sont les principaux maîtres d’œuvre sur le terrain.

« Les 20 DPJ du Québec ont fait la demande d’être entendus. Malheureusement, à ce jour, nous n’avons pas reçu de réponse à cette demande », a précisé à La Presse la porte-parole Jocelyne Boudreault, qui s’exprimait au nom des DPJ de tout le Québec.

Le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, avait pourtant déclaré, à l’ouverture de la commission parlementaire, que les députés allaient entendre « les experts de la protection de la jeunesse ». Les DPJ, qui appliquent la Loi sur la protection de la jeunesse, sont les principaux experts de la loi au quotidien.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

André Lebon était le vice-président de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse.

Pour l’ex-vice-président de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (commission Laurent), André Lebon, qui a accordé une entrevue à La Presse, il est « inadmissible » que les DPJ n’aient pas été sollicités pour faire valoir leur point de vue en commission parlementaire.

« Le ministre les a rencontrés lundi après-midi et ils se sont entretenus pendant une heure avec lui pour commenter le projet de loi. Les personnes et groupes ont été négociés avec les groupes parlementaires et tous se sont entendus sur la liste des invités qui ont été convoqués en consultations particulières », répond la porte-parole du ministre Carmant, Marie Barrette.

Aller plus loin

Faute de pouvoir témoigner en personne devant les députés, les 20 DPJ ont donc fait parvenir jeudi aux médias une lettre ouverte, où, s’ils saluent les avancées du projet de loi 15 (PL-15) parrainé par Lionel Carmant, ils estiment aussi que cette nouvelle législation ne va pas assez loin.

« Les principes évoqués dans le projet de loi 15 sont fort intéressants, cependant sont-ils à la hauteur des volontés exprimées ? À certains égards, nous croyons que le projet de loi peut et doit aller plus loin pour permettre des leviers légaux pour qu’ils soient bénéfiques pour l’enfant, et pour être en mesure d’opérer les changements tant souhaités. Il faut se donner les moyens afin que cette occasion extraordinaire ne soit pas un rendez-vous manqué ! Nous lançons un cri du cœur comme DPJ au nom des enfants ; osons aller plus loin et plus haut ! »

Selon les directeurs, on devrait notamment insister sur l’intérêt de l’enfant, qui ne devrait pas être une considération prédominante dans la prise de décision, mais la seule qui devrait compter.

Ils réclament également que de nouveaux leviers soient ajoutés dans la loi pour faciliter la transition à la vie adulte, limiter les délais judiciaires et mieux baliser la confidentialité des renseignements concernant les enfants.

Les 20 directeurs ne sont d’ailleurs pas les seuls à trouver que le projet de la 15 ne va pas assez loin. Six ex-commissaires qui ont œuvré à la commission Laurent sont venus livrer exactement le même message en commission parlementaire jeudi.

« Bien que nous reconnaissions les avancées du PL-15, nous sommes grandement préoccupés par l’absence de suites à plusieurs de nos recommandations de modifications législatives pour garantir la stabilité des enfants. Nous sommes d’avis que l’absence de certains leviers que nous avions prévus nuira à l’atteinte du but visé », dit d’emblée le mémoire signé par six autres ex-commissaires, dont Gilles Fortin, Lesley Hill, Jean-Simon Gosselin, Jean-Marc Potvin et Danielle Tremblay.

« C’est comme s’il manquait le coffre à outils du projet de rénovation », ajoute l’ex-vice-président de la commission, André Lebon, lui aussi signataire, qui était au même moment en entrevue avec La Presse. Le DGilles Fortin, qui a travaillé pendant des décennies auprès des enfants vulnérables, a rappelé aux commissaires qu’il était là, en 2007, lors des dernières modifications à la loi, qui visaient à assurer une plus grande stabilité aux enfants. « Malheureusement, cela n’a pas livré la marchandise », constate-t-il.

Placement à majorité

Car l’objectif des modifications à la loi devrait être de permettre aux enfants placés d’avoir une famille pour la vie, insistent les ex-commissaires. « Ceux-ci sont encore trop nombreux à demeurer très longtemps dans le système de protection de la jeunesse, parfois de la naissance à la majorité, sans qu’on leur offre une famille permanente, engagée de façon inconditionnelle auprès d’eux, apte à répondre à leurs besoins et à les accompagner dans leur développement. » Une situation qu’ils qualifient d’« inacceptable ».

Devant les parlementaires, les ex-commissaires ont cité le cas de « bébé Léo », un jeune devenu adulte qui est venu témoigner devant eux. Changé à plusieurs reprises de milieu d’accueil, jamais le jeune n’a pu s’enraciner dans une famille, ont déploré les cinq ex-commissaires. Il est demeuré en centre de réadaptation jusqu’à 18 ans. « Sans famille pour la vie, l’enfant est mal pris pour la vie », résume André Lebon.

Pour en arriver à « casser ce cycle », l’intérêt de l’enfant doit être placé au-dessus de tout, disent les ex-commissaires. Chaque décision doit être justifiée par une analyse rigoureuse de l’intérêt de l’enfant.

De plus, le placement à majorité demeure l’outil le plus fréquent pour placer des enfants à long terme, notent les ex-commissaires. Or, ce moyen n’est pas celui qui garantit le plus de stabilité à long terme. Il maintient le jeune dans une situation « stigmatisante », car il porte toujours l’étiquette d’« enfant de la DPJ ».

Les ex-commissaires estiment donc que les modalités des placements à majorité devraient être modifiées, mais aussi qu’on devrait avoir bien davantage recours à l’adoption et la tutelle, des options qui sont « peu utilisées » au Québec. Passé l’âge de 2 ans, les adoptions diminuent considérablement, et à peu près aucune ne se concrétise si l’enfant a plus de 6 ans.

« Le Code civil du Québec édicte les motifs pour présenter une demande d’admissibilité à l’adoption. Les motifs sont interprétés de façon très stricte par les tribunaux, si bien que même si l’intérêt de l’enfant dicte, dans plusieurs situations, qu’il soit adopté ou qu’un tuteur lui soit nommé, ces enfants demeurent placés à majorité. Dans les faits, cette option, retenue par défaut, est celle qui lui assure le moins de stabilité, de permanence et de pouvoir vivre une vie normale d’enfant », disent les commissaires.