Les restrictions sanitaires et l’incertitude quant à l’avenir sont pour tous une source de contraintes et de stress. Comment les futurs parents vivent-ils cette période complexe ? Nous avons suivi des couples pendant plusieurs mois, jusqu’à l’arrivée de leur bébé.

Jessy Rivard et Ruben Reyes se sont rencontrés en 2019 à une soirée de danse latine. Jessy était débutante, Ruben l’a fait danser. Et ça a cliqué. En 2020, tout a déboulé : en février, ils ont emménagé ensemble ; en mars, la pandémie de COVID-19 a éclaté. Et en mai, au premier essai, Jessy est tombée enceinte.

Ils ne voyaient pas la pandémie comme un obstacle à la venue d’un enfant, au contraire.

« Pourquoi on n’en profiterait pas ? », s’est dit Jessy, pour qui l’avènement du télétravail était un « gros, gros plus » pour vivre une grossesse. « Et le moment parfait, ça n’existe pas », ajoute Ruben, 46 ans.

Nous sommes le 2 novembre. Jessy, 36 ans, est enceinte de 28 semaines. Dans l’entrée de l’appartement, à Laval, sont disposés des produits désinfectants ainsi qu’un bac où Ruben, camionneur propriétaire, met ses vêtements en rentrant du travail. Le couple suit religieusement les consignes : Jessy redoute la COVID-19.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Jessy Rivard, enceinte de 28 semaines, et son conjoint, Ruben Reyes

« Cette semaine, ma mère, qui vit sur la Côte-Nord, m’a demandé si elle allait pouvoir coller ma fille, la bécoter… Je lui ai dit oui, mais au fond je n’étais pas certaine. »

Jessy, adjointe administrative au gouvernement fédéral, tient à ce que son bébé socialise. Pour Ruben, c’est une priorité : « Si c’est nécessaire, on va être un cercle très serré, mais je l’ai dit à Jessy : c’est important que notre fille ait une vie sociale. »

La gestion de la pandémie génère des divisions inquiétantes, estime Ruben, qui a quitté le Mexique pour le Québec il y a 14 ans. Il a eu des frissons, le printemps dernier, en voyant un contrôle policier à la sortie de Saint-Sauveur, alors que Jessy et lui s’en allaient randonner à la Montagne noire. Il a fait demi-tour. « Je suis venu ici pour avoir la liberté, souligne Ruben. Pour moi, ça n’a pas de prix. »

  • « Pour maintenir ma santé physique et mentale, je fais de la randonnée pédestre, dit Jessy Rivard. Parfois, j’opte pour une sortie dans un bois aux alentours, question de saluer des gens et d’échanger un sourire au passage. »

    PHOTO FOURNIE PAR JESSY RIVARD

    « Pour maintenir ma santé physique et mentale, je fais de la randonnée pédestre, dit Jessy Rivard. Parfois, j’opte pour une sortie dans un bois aux alentours, question de saluer des gens et d’échanger un sourire au passage. »

  • « Aujourd’hui, 23 novembre, mon chum dort, la tête contre ma bedaine, dit Jessy Rivard. C’est tellement beau à voir ! Il va être un bon papa, présent, impliqué. »

    PHOTO FOURNIE PAR JESSY RIVARD

    « Aujourd’hui, 23 novembre, mon chum dort, la tête contre ma bedaine, dit Jessy Rivard. C’est tellement beau à voir ! Il va être un bon papa, présent, impliqué. »

  • « Aujourd’hui, 11 décembre, j’ai visité les chambres de la maison de naissance, dit Jessy Rivard. C’est vraiment calme et inspirant. La semaine prochaine sera ma dernière au travail. J’ai hâte que ça finisse pour me concentrer sur mon projet le plus important : mon bébé. »

    PHOTO FOURNIE PAR JESSY RIVARD

    « Aujourd’hui, 11 décembre, j’ai visité les chambres de la maison de naissance, dit Jessy Rivard. C’est vraiment calme et inspirant. La semaine prochaine sera ma dernière au travail. J’ai hâte que ça finisse pour me concentrer sur mon projet le plus important : mon bébé. »

  • « Aujourd’hui, 29 décembre, on est dans les derniers préparatifs avant la naissance de Camila, dit Jessy Rivard. On a tellement de stock ! En plus, on reçoit plein de cadeaux. C’est vraiment excitant de découvrir les colis sur le pas de notre porte ! »

    PHOTO FOURNIE PAR JESSY RIVARD

    « Aujourd’hui, 29 décembre, on est dans les derniers préparatifs avant la naissance de Camila, dit Jessy Rivard. On a tellement de stock ! En plus, on reçoit plein de cadeaux. C’est vraiment excitant de découvrir les colis sur le pas de notre porte ! »

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Si sa fille grandit dans ce contexte, avec masques et distanciation physique, il se demande quelle sera sa perception du monde, elle qui n’aura rien connu d’autre. « Je ne veux pas qu’elle pense que c’est normal », dit Ruben.

Hiver 2020-2021

Aujourd’hui, 31 décembre, c’est une Jessy souriante et nouvellement en congé de maternité qui nous accueille devant chez elle pour aller marcher dans le voisinage. Sa sage-femme lui a conseillé de limiter ses contacts : les femmes enceintes qui contractent la COVID-19 courent plus de risques de complications.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Jessy, enceinte de 37 semaines, se sent zen à l’approche de son accouchement.

« J’ai pris conscience, cette semaine, que ça s’en vient. Viens-t’en, cocotte, on va se rencontrer ! », dit Jessy. Elle visualise souvent son accouchement, qui aura lieu en maison de naissance si tout se passe comme prévu.

Le soir de Noël, Jessy a voulu prendre des photos avec Ruben devant le sapin. Elle voulait aussi danser. Tous deux se sont mis sur leur 31… mais ils se sont endormis sur le canapé. Ruben se lève à 4 h pour travailler et Jessy fait de l’insomnie à cause des mouvements du bébé.

« J’étais un peu déçue, nostalgique de mes Noëls d’enfance, sur la Côte-Nord… »

Juste avant la fermeture des magasins non essentiels, Jessy a couru acheter des rideaux et un matelas à langer. Son cerveau est en mode parental : elle ne suit pas l’actualité de la COVID-19 et ne s’en porte pas plus mal.

Le 18 janvier, cinq jours avant la date prévue de l’accouchement, dans un entretien par visioconférence, Jessy et Ruben se questionnent sur l’impact que le couvre-feu désormais en vigueur pourrait avoir sur la santé mentale de la population.

On passe plus de temps à cultiver la haine de son voisin qu’à réfléchir au problème.

Ruben, à propos de l’impact du couvre-feu

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le 19 janvier, Jessy va marcher au parc Maisonneuve. Elle accouchera le lendemain.

Avant d’accueillir sa mère pour quelques semaines, Jessy préfère attendre en mai afin de trouver d’abord un modus vivendi à trois.

« Je ne sais pas si tu l’as remarqué, mais je viens d’avoir une grosse contraction, confie-t-elle. D’après moi, je vais accoucher d’ici deux jours. »

Camila est arrivée

Le 2 février, entre deux tétées, Jessy nous accorde une vingtaine de minutes sur FaceTime. La petite Camila est blottie dans ses bras, endormie. « C’est un ange », dit Jessy en souriant.

  • Ruben et Jessy rencontrent Camila.

    PHOTO FOURNIE PAR JESSY RIVARD

    Ruben et Jessy rencontrent Camila.

  • Pour la première séance photo de Camila, trois jours, maman tenait l’appareil photo.

    PHOTO FOURNIE PAR JESSY RIVARD

    Pour la première séance photo de Camila, trois jours, maman tenait l’appareil photo.

  • « Aujourd’hui, le 28 février, on a décidé de faire notre première sortie entre amis pour souligner mon anniversaire, dit Jessy Rivard. On est allés marcher. C’est fou comme ça fait beaucoup de choses à regarder pour bien respecter les mesures en vigueur ! »

    PHOTO FOURNIE PAR JESSY RIVARD

    « Aujourd’hui, le 28 février, on a décidé de faire notre première sortie entre amis pour souligner mon anniversaire, dit Jessy Rivard. On est allés marcher. C’est fou comme ça fait beaucoup de choses à regarder pour bien respecter les mesures en vigueur ! »

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Camila est née deux jours après notre dernière rencontre, comme sa maman l’avait pressenti. L’accouchement, « épuisant », a duré 12 heures, dont 3 heures de poussée.

Jessy se sent bien, dans sa bulle, avec les siens, mais l’allaitement est plus compliqué. Quand Camila commence à téter, Jessy retrousse les orteils tellement ça lui fait mal. Son accompagnante à la naissance doit venir l’aider cette semaine.

Ruben va recommencer à travailler dans une semaine ou deux, et Jessy songe maintenant à demander à sa mère de venir, ce que permet la Santé publique.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Pour Linda Méthot, c’est une joie de pouvoir prendre soin de Camila.

Lorsque nous rencontrons Camila en vrai pour la première fois, le 25 février, sa grand-maman, Linda Méthot, est là. Elle veille sur Camila jusqu’au milieu de la nuit pour permettre aux parents de dormir.

Quand elle a vu la petite, Linda a été émue aux larmes : « Je n’ai pas pu voir la progression de la grossesse et ça m’a manqué », confie-t-elle.

« Quand Camila a entendu la voix de ma mère, ses yeux ont arrêté de bouger, raconte Jessy. Elle la reconnaissait. »

« J’ai eu des petites passes de découragement, surtout par rapport à l’allaitement, mais je n’ai pas eu de grosse déprime, dit Jessy, qui a déjà souffert de dépression dans le passé. Je trouve que je m’en sors vraiment bien. »

Dans les bras de sa grand-maman, Camila s’éveille tranquillement.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

La famille au parc Maisonneuve

Le samedi de Pâques, nous rencontrons Jessy et Ruben pour la dernière fois, au parc Maisonneuve, où ils ont leurs habitudes. Le soleil du printemps réchauffe le petit cocon de Camila, qui dort paisiblement.

La mère de Jessy est repartie. L’isolement commence à se faire sentir, confie Ruben, pour qui les mesures sanitaires pèsent davantage que pendant la grossesse.

On aimerait que des amis connaissent la petite.

Jessy Rivard

Seule une poignée d’amis l’ont entrevue, dehors, en plein mois de février.

« Personne ne l’a prise dans ses bras excepté l’ostéopathe et ma mère, souligne Jessy, alors qu’en temps normal, elle aurait déjà connu des dizaines de bras. »

Ils regardent vers l’avant, vers l’été qui arrive, vers le jour où cette pandémie sera enfin terminée. « J’ai vraiment hâte d’aller au Festival de jazz avec ma petite, entouré de plein de monde », confie Ruben au moment de l’au revoir.