Je ne suis pas scandalisée. Pas fâchée. Même pas révoltée par les faits révélés vendredi par ma collègue Katia Gagnon sur les problèmes gravissimes d’un nombre très élevé de jeunes Québécois qui sont en train de bien mal vivre la pandémie et le confinement et qui l’expriment en ne mangeant pas du tout suffisamment ou en mangeant beaucoup trop pour leur santé.

En fait, je suis un peu tout ça.

Mais je suis surtout triste.

Très triste.

La situation des adolescents et des jeunes adultes, et le peu d’égards qu’on a pour eux, depuis le début de cette pandémie, me brisent le cœur.

C’est fou, ce qu’on leur a demandé et ce qu’on exige encore.

Parce qu’on les exhorte à ne pas être ce qu’ils sont.

Quand on est ado, jeune adulte, la vie se passe avec les copains, les autres. La vie se passe hors de la maison, loin des parents, pour découvrir qui on est. Elle se passe sur les pistes de ski ou les terrains de soccer, dans les camps d’été comme moniteur ou comme explorateur en canoë-camping, elle se passe dans les camps scouts avec trois fois rien, sale, au milieu de la forêt, elle se passe dans les parcs à flirter et à rigoler et à se raconter des niaiseries.

Quand on est ado, jeune adulte, la vie, c’est en vrai à l’école, c’est le sport, des « parascos », des partys, des arts, du théâtre, du chant, de la musique, des labos d’invention de robots, peu importe.

Et on a tout effacé.

Ne reste que les écrans et leurs conversations vidéo, avec toutes leurs limites. Ces mêmes écrans qu’on diabolisait il y a à peine un an, avec une dose de culpabilité en extra pour ces mêmes jeunes. Vous rappelez-vous comment on les assommait avec nos « lâchez vos téléphones, sortez, faites de l’exercice, prenez l’air ! » ?

Aujourd’hui, on les montre du doigt jour après jour comme des vecteurs de contagion. On leur dit que leurs fêtes clandestines tuent du monde, que leurs amitiés, leurs amours sont presque de la trahison.

On les accuse de vouloir être normaux.

***

Vendredi, après avoir lu le dossier de Katia, qui fait donc état d’une explosion du nombre de cas de troubles alimentaires chez les jeunes depuis le début du confinement – symptômes de malaises profonds – tant du côté de la restriction calorique extrême et de l’anorexie que de l’hyperphagie – lorsqu’on mange sans limites –, j’ai appelé une amie pédiatre.

« Est-ce que c’est déraisonnable de penser que la Santé publique devrait mieux intégrer les besoins et réalités des jeunes dans leurs mesures ?

— Pas du tout, m’a-t-elle répondu. C’est ce que les pédiatres disent depuis plusieurs mois.

— Je ne dis pas qu’il faut nier la COVID-19 pour leurs besoins, mais il me semble qu’on devrait ajouter ces paramètres dans l’équation de prévention, déjà complexe, j’avoue…

— Exactement ce que les pédiatres demandent depuis longtemps. »

Je suis retournée dans les archives de La Presse et des autres médias, et effectivement, des médecins œuvrant avec les jeunes et même l’Association des pédiatres ont commencé à lancer des cris d’alarme dès le printemps dernier, ils ont continué pendant l’été, puis à la rentrée. Et encore maintenant.

J’ai retrouvé des citations comme celle-ci de Marie-Claude Roy, pédiatre et membre du conseil d’administration de l’Association des pédiatres du Québec : « On a des épidémies d’intoxication, de cyberdépendance, de troubles anxieux, de troubles alimentaires. Nous, on travaille très, très fort en clinique tous les jours avec ces adolescents-là, qui ne vont pas bien. »

C’était en octobre.

Mais c’est comme si le gouvernement et la Santé publique n’avaient rien lu. Et lorsque les nouvelles mesures restrictives sont arrivées en janvier, les avez-vous entendus parler des besoins des jeunes ? Leur expliquer pourquoi les autorités semblent tout faire pour que, comble de l’absurdité, ils n’aillent pas jouer dehors ?

***

Encore une fois, je le répète dans cette chronique comme je l’ai écrit avant : je ne suis pas favorable à une levée importante des restrictions antivirus. Même pour sauver les jeunes. Il n’est pas question de ça. La pandémie est là et les statistiques demeurent inquiétantes.

Mais peut-on poser quelques questions ?

Peut-on, par exemple, demander aux politiques et aux fonctionnaires de la Santé publique de nous expliquer tout simplement ce qu’ils font pour aider, voire sauver, ce que les pédiatres appellent dorénavant une génération « sacrifiée » ?

Quelle est leur stratégie ? Où ont-ils placé les jeunes dans leurs vastes plans, pour prévenir cette « bombe » à retardement qui est en train de se construire ?

Sont-ils là sur leurs écrans radars ?

Parfois, je regarde les décideurs aller et j’ai l’impression qu’ils jouent aux échecs – oui, je viens de finir Le jeu de la dame et tout ressemble à une partie d’échecs ; donc, qu’ils jouent aux échecs, mais en retirant certaines pièces.

Comme si des participants, dépassés par la complexité du jeu, déclaraient : « OK, on joue, mais sans tenir compte des cavaliers et des fous, parce que ça fait trop de choses à surveiller en même temps. »

On ne peut pas faire ça, on le sait tous.

La situation actuelle est rendue complexe par toutes sortes de facteurs. L’échiquier est couvert de pièces qui s’appellent notamment les aînés, le délestage, les ressources limitées, les inconnus scientifiques, la santé mentale de la population… Et la situation particulière des jeunes doit y être aussi.

Et cela devrait influencer un paquet de choix.

Ils devraient pouvoir aller faire du patin ou du ski, de la luge – jouer dehors ! – ensemble, masqués ou avec leurs cache-cou qu’ils portent de toute façon en hiver, en respectant les distances, mais même s’ils ne font pas partie d’une bulle familiale.

Cégépiens et jeunes étudiants universitaires devraient avoir des activités scolaires à l’extérieur du télétravail. Peu importe la forme ou le rôle de ces exercices : quelque chose pour leur montrer, leur faire vivre autre chose que la solitude de leurs écrans. Et oui c’est possible, même en hiver.

Aussi, certaines activités parascolaires devraient être permises.

Et ils devraient pouvoir se voir, dehors, en tout petits groupes, bien distancés, juste pour placoter.

Mais je suis probablement à côté de la plaque. On devrait leur demander à eux ce qu’ils veulent, en leur rappelant bien sûr la nécessité de lutter contre la contagion.

On ne peut pas gagner la lutte contre un problème, si on en crée un autre.

Ils méritent qu’on leur pose la question.