Des mères qui étaient devenues complotistes prennent la parole et racontent comment elles ont délaissé ces théories qui étaient en train de les « éloigner de leurs enfants »

Pour Chantal Plante, mère de cinq filles, les théories du complot ont commencé en 2001, avec l’effondrement des tours jumelles. À l’époque, elle fréquentait des messageries web où des gens entretenaient la « peur de l’autre » et faisaient des « amalgames entre l’attentat et la communauté arabe », raconte-t-elle.

Mais avec l’arrivée de YouTube, en 2005, la « trappe » s’est refermée sur elle, se rappelle Chantal Plante. « Je me suis rendue tellement loin, j’ai même adhéré à La Meute quelques années plus tard », dit-elle. Plus elle s’enfonçait dans ces théories, plus ses filles s’éloignaient d’elle. « Mes enfants étaient devenus secondaires », déplore Mme Plante.

C’est vers 2018 qu’elle en a eu assez et est allée chercher de l’aide.

L’amour de mes enfants est ce qui est le plus précieux dans ma vie. C’est ce qui m’a fait revenir à la raison.

Chantal Plante

Aujourd’hui, Mme Plante se désole d’avoir « perdu 15 ans » de sa vie aux mains de « gourous qui dénaturent les gens ». « Quand tu débarques de là, tu as extrêmement honte, raconte-t-elle. Et quand tu es dedans, tu deviens hargneux. »

« J’ai paniqué »

Pour Stéphanie Hammond, mère de quatre enfants, tout a commencé durant la crise du verglas en 1998. Après quatre jours passés sans électricité, elle s’est mise à craindre d’être prise « du jour au lendemain dans une merde pas possible ».

En plus de s’initier au camping sauvage, Stéphanie Hammond a commencé à s’informer auprès de groupes survivalistes, qui partageaient aussi de fausses théories sur les armes chimiques et le contrôle de la population. « J’embarquais vraiment dans tout ce qui était théorie du complot », se souvient-elle.

Quand la COVID-19 a frappé, les choses ont empiré. « J’ai paniqué et je me suis remise à faire encore plus de préparatifs », explique Mme Hammond. D’anciens militaires avec qui elle était en contact lui ont dit d’attendre leur appel à venir les rejoindre et de se préparer « à se battre ». « J’attendais avec mes affaires empilées dans l’entrée, dit-elle. Et un soir, j’ai reçu l’appel. »

Mais pour Stéphanie Hammond, il n’était pas question de partir sans avertir ses enfants. Inquiets, ces derniers ont tenté de la dissuader d’y aller. Sans succès. Ils ont alors décidé d’appeler les policiers. « J’étais enragée bleu après mes enfants, se souvient-elle. Ils s’attaquaient à mon plan B. »

La mère de famille s’est alors rendu compte qu’elle avait franchi une ligne.

PHOTO FOURNIE PAR STÉPHANIE HAMMOND

Stéphanie Hammond a délaissé les théories du complot et dit que ses enfants et elle sont « beaucoup plus proches » maintenant.

Je suis en train de me chicaner avec mes enfants, alors qu’ils sont les seuls que j’ai au monde. Est-ce que c’est vraiment ça que je veux ?

Stéphanie Hammond

Ces prises de conscience sont essentielles, estime Cécile Rousseau, professeure de la division de psychiatrie sociale et transculturelle de l’Université McGill. « Certains se rendent compte que ça va trop loin, fait-elle observer. Ils se demandent pour quelle raison ils sont en train de se diviser. »

Dans les semaines suivant l’évènement avec les policiers, Stéphanie Hammond s’est renseignée auprès de sites qui débusquent les fausses nouvelles. « Je suis retournée voir toutes les théories auxquelles je croyais avant, précise-t-elle. Du gros n’importe quoi. »

« Pire qu’une secte »

Depuis la montée des courants complotistes durant la pandémie, Chantal Plante jonglait avec l’idée d’expliquer le phénomène « de l’intérieur », pour aider les gens à s’en sortir. Soutenue par ses enfants, elle a pris la parole publiquement en août dernier.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Chantal Plante

Car selon Chantal Plante, cette mouvance est « pire qu’une secte ». « J’ai de la peine pour des gens que je ne connais même pas », souffle-t-elle, la voix tremblante d’émotion.

« Ils sont en train de perdre des amis et de la famille », renchérit Stéphanie Hammond. Lorsqu’un être cher est complotiste, le plus important est de maintenir le lien, estime Cécile Rousseau, de l’Université McGill. « Si la personne ne veut plus vous voir, faites-lui savoir que la porte sera toujours ouverte », conseille-t-elle.

Profiter de la vie

Aujourd’hui, Chantal Plante mord dans la vie « à pleines dents ». Mais cette légèreté retrouvée a été le fruit de nombreuses thérapies. Quand elle repense à ses années complotistes, elle souligne avoir été vulnérable en raison d’un choc post-traumatique subi à la suite de violence conjugale. Elle dénonce maintenant ses anciennes croyances, sans toutefois « tomber dans des chambres d’écho ».

Pour Stéphanie Hammond, la clé a été de « décrocher » de l’internet. Mais l’épisode de la COVID-19 a laissé des marques. En 2020, elle a dû retourner consulter pour ses troubles de santé mentale, alors qu’ils étaient « sous contrôle depuis 10 ans ».