Depuis le début de la pandémie, la scène rave montréalaise est sur pause. Malgré l’annulation des évènements, la consommation de drogues a continué chez les amateurs de musique électronique. Les surdoses, l’isolement et les problèmes de santé mentale endeuillent cette communauté plutôt habituée à la fête.

« On a perdu des êtres chers dernièrement, constate avec tristesse Marie-Ève Morin, médecin de famille œuvrant en santé mentale et dépendance. Il y a eu des surdoses mortelles, des suicides et des accidents violents. » En visioconférence avec La Presse, la médecin explique son attachement à la scène rave, qu’elle fréquente depuis 20 ans. En plus du Projet Caméléon, organisme de réduction des méfaits qu’elle a créé, la Dre Marie-Ève Morin fait danser les ravers en tant que DJ Lady KAM.

Cristina Barbiero gravite elle aussi dans ce milieu qu’elle appelle « sa famille » depuis une vingtaine d’années. Mais avec les deuils qui se sont accumulés depuis le début de la pandémie, cette dernière est à bout de souffle. « J’en ai perdu 12 », se désole l’intervenante communautaire. Douze personnes de son entourage sont mortes de surdose, de suicide ou de la COVID-19.

PHOTO FOURNIE PAR CRISTINA BARBIERO

Depuis le début de la pandémie, Cristina Barbiero est intervenue auprès des ravers par l’entremise du groupe Facebook Aide communautaire Montréal.

« C’est comme jouer à la roulette russe »

La vague de décès qui touche la scène rave est due à différents facteurs, selon la Dre Marie-Ève Morin. Des trafiquants coupent leur marchandise avec d’autres substances, afin de les vendre au même prix qu’avant, malgré la pression à la hausse exercée par la fermeture des frontières. Des stimulants comme la MDMA ou la cocaïne, jusque-là peu corrompus par les opioïdes comme le fentanyl, sont alors contaminés.

« Dans la scène de la musique électronique, les gens sont habitués à consommer, mais ils ne sont pas habitués à consommer de la merde », résume la Dre Marie-Ève Morin. « Consommer en 2021, c’est comme jouer à la roulette russe », ajoute-t-elle.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La Dre Marie-Ève Morin, œuvrant en santé mentale et dépendance, déplore les morts dans le milieu milieu rave depuis le début de la pandémie.

« Des personnes me disaient qu’elles avaient fait des stimulants, mais que ce n’était pas du tout le buzz recherché. Elles se sentaient comme endormies », témoigne Cristina Barbiero.

Avec le groupe Facebook Aide communautaire Montréal, Cristina Barbiero a tendu la main à ceux qui en avaient besoin durant la crise sanitaire. L’intervenante a constaté que la consommation a augmenté dans ce milieu. « Ce n’est pas tout le monde qui fait face à la pandémie de la même façon, souligne-t-elle. C’était difficile, les artistes s’ennuyaient de faire ce qu’ils aimaient. »

Pour traiter des crises de panique en évitant d’aller dans les hôpitaux surchargés, certains se sont tournés vers l’automédication. « Les gens n’allaient pas bien et ils ont pris ce qu’ils avaient sous la main pour se soulager », constate la Dre Morin.

Dans certains cas, l’isolement et les troubles de santé mentale sont devenus trop lourds à porter. « L’élastique était vraiment tendu et il a pété pour certains », se désole la médecin de famille, au sujet de ravers disparus. Elle n’est pas rassurée pour la suite. « Je vois plus de gens qui ne vont pas bien maintenant qu’il y a six mois », estime-t-elle.

Un problème généralisé

La Dre Carole Morissette, de la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal, note l’énorme quantité d’alertes lancées au sujet des drogues depuis l’été dernier. « Chaque fois, c’était parce qu’on avait […] soit plus de cas de décès pour un mois particulier, soit plus de surdoses à signaler, mais surtout, la concordance avec de nouvelles substances ou des substances sous formes différentes », explique-t-elle. Des signalements récents, au sujet du crack fumé, dénoncent sa possible contamination par des opioïdes.

Les surdoses mortelles sont en hausse à Montréal, parmi les amateurs de musique électronique et les autres utilisateurs de drogue. « Avant, on avait environ 11 cas de décès par mois, mais dans la dernière année, on a eu plutôt autour de 14 décès par mois », rapporte la Dre Carole Morissette, qui rappelle que les causes de décès doivent être confirmées par des enquêtes du coroner.

La Dre Marie-Ève Morin réitère l’importance des kiosques d’analyse de drogues, comme ceux de Projet Caméléon. « Quelqu’un qui a acheté de la MDMA et qui trouve des traces de fentanyl, souvent, il ne la consommera pas. On consomme pour avoir du plaisir, on ne consomme pas pour mourir », souligne cette dernière. Cet été, la médecin sera présente dans certains évènements pour permettre aux ravers de tester leurs substances.

« Des gens ont consommé seuls et sont morts seuls »

En réduction des méfaits, le plus important est de ne jamais consommer seul, rappelle la Dre Marie-Ève Morin. « Mais là, en pandémie, on disait aux gens de rester à la maison et il n’y avait plus d’évènements. […] Des gens ont consommé seuls et sont morts seuls », se désole-t-elle.

Pour éviter les surdoses mortelles, Cristina Barbiero souhaite rendre plus connu et accessible le trip sitting, une pratique qui consiste à ce qu’une personne sobre soit présente auprès de celle qui consomme. « On essaie vraiment de pousser ça. Pour les gens qui consomment seuls à la maison, on leur dit d’appeler quelqu’un ou de faire ça par webcam », souligne-t-elle.

L’espoir du déconfinement ?

Lorsqu’il est question de la reprise des évènements festifs, en raison du déconfinement, la Dre Marie-Ève Morin affiche un grand sourire. « L’espoir, oui, je le vois. Les gens sont tellement contents de se revoir », constate-t-elle.

Cristina Barbiero lance un appel à une vigilance accrue dans la communauté. « Faites le party cet été, oui, mais allez vous chercher des trousses de naloxone », déclare-t-elle. La naloxone est un antidote aux surdoses d’opioïdes.

Populaires, les raves au Québec ?

Des festivals québécois de musique électronique, comme Eclipse ou Timeless, ont attiré des milliers de visiteurs lors de leurs dernières éditions en 2018 et 2019. La 16e édition d’Eclipse aura lieu en 2022.