La tour de condos qui s’est effondrée jeudi en Floride avait été érigée dans les années 1980 par un promoteur élevé à Montréal, qui avait quitté le Canada dans la controverse afin d’aller bâtir un empire immobilier sous le soleil. Son œuvre est maintenant au cœur de l’enquête sur la catastrophe qui a fait au moins 11 morts et 150 disparus.

Les secouristes travaillaient encore d’arrache-pied, lundi, afin de retrouver des disparus dans les décombres de l’immeuble Champlain Tower South, à Surfside, près de Miami. Avec des chiens renifleurs, des radars et des appareils sonars, ils exploraient les restes de l’édifice de 12 étages.

« Ce sont des recherches effrénées pour chercher cet espoir, ce miracle, pour voir qui nous pouvons sortir de cet immeuble vivant », a déclaré Andy Alvarez, commandant adjoint des pompiers, en entrevue à l’émission Good Morning America.

Quatre Canadiens sont au nombre des disparus. La municipalité a confirmé qu’un rapport daté de 2018 avait relevé des « dommages structurels majeurs » et des « fissures » dans le sous-sol du bâtiment. Des travaux d’entretien estimés à une bonne dizaine de millions de dollars devaient débuter sous peu.

Une enquête est en cours sur les causes du drame. « Les immeubles ne s’effondrent pas comme ça en Amérique », a déclaré Charles Burkett, maire de Surfside, lors d’une conférence de presse.

Vice de conception ou problème d’entretien ?

Impossible pour l’instant de dire si le problème se trouve du côté d’un vice de conception ou d’un manque d’entretien, mais le maire a confirmé que d’autres tours de condos construites à proximité à la même époque étaient en observation.

Plusieurs médias américains ont cité des experts qui s’interrogent sur l’idée de construire d’aussi hautes structures aussi près de l’océan, là où le sel de la mer peut favoriser l’érosion des pièces d’acier dans le bâtiment.

À une certaine époque, du sable de plage plein de sel était parfois utilisé pour fabriquer le béton, ce qui a déjà contribué à un effondrement meurtrier au centre-ville de Miami, selon Syed Ashraf, ingénieur en structures de la région cité par le quotidien USA Today.

Les tours Champlain et d’autres immeubles du secteur ont été bâtis au début des années 1980 par le promoteur Nathan Reiber, comme l’a d’abord révélé le Washington Post samedi. L’homme d’affaires est mort en 2014 à l’âge de 86 ans.

PHOTO TIRÉE DE L’AVIS DE DÉCÈS DE NATHAN REIBER

Nathan Reiber, promoteur élevé à Montréal qui a bâti plusieurs tours à Surfside, dont celle qui s’est effondrée.

Selon un long portrait publié par le Miami Herald à sa mort, il était né en Pologne et avait immigré à Montréal avec sa famille à la fin des années 1920, âgé d’à peine 2 ans. Il a grandi dans la métropole québécoise, puis est parti en Alberta étudier le droit au début de l’âge adulte. Devenu avocat, il a commencé à investir dans l’immobilier en Ontario.

De vieux articles du journal ontarien London Free Press relatent comment il est tombé dans la ligne de mire d’une enquête de Revenu Canada à la fin des années 1970 et s’est retrouvé dans le pétrin.

Mandat d’arrêt

Nathan Reiber possédait des immeubles résidentiels avec quelques partenaires investisseurs dans la région de Burlington. Les bâtiments avaient des services de buanderie qui fonctionnaient avec des pièces de monnaie. Selon l’enquête, les propriétaires avaient détourné 131 000 $ qui avaient été cachés à l’impôt. Il s’agissait d’une somme considérable pour l’époque, l’équivalent de près de 600 000 $ en argent d’aujourd’hui. Les partenaires avaient aussi trafiqué les livres de leur entreprise pour frauder le fisc et fait de faux chèques pour des travaux de construction inexistants, dans le même but.

Nathan Reiber avait aussi pigé dans la caisse de son entreprise afin de faire des travaux à sa résidence personnelle, sans inscrire la dépense de façon réglementaire dans les livres.

Le promoteur était parti s’installer aux États-Unis à la fin des années 1970, avant que le dossier se règle, mais les autorités étaient décidées à ne pas le laisser filer. Un mandat d’arrêt a été lancé à son endroit, afin de le ramener de force si nécessaire. Il est finalement revenu volontairement pour comparaître devant un juge et a été condamné à 60 000 $ d’amende (l’équivalent de 266 000 $ aujourd’hui).

Par la suite, il s’est retrouvé plongé dans un autre litige l’opposant à Revenu Canada, en lien avec l’achat et la revente de yachts, notamment son bateau personnel, le Rye-Bar. Il avait gagné sa cause, même si le juge avait dénoncé son manque d’éthique, de fiabilité et de professionnalisme dans des termes très durs dans son jugement.

Selon le Globe and Mail, l’homme d’affaires a abandonné volontairement son statut d’avocat au Canada alors que le Barreau lui reprochait son manque de coopération dans le cadre de l’enquête du fisc sur ses finances.

PHOTO GIORGIO VIERA, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’immeuble Champlain Tower South, situé au bord de l’eau à Surfside, près de Miami, s’est effondré jeudi dernier.

Une retraite d’à peine une semaine

Nathan Reiber prévoyait prendre sa retraite tranquille en Floride, mais son plan a tenu à peine une semaine, selon le Miami Herald. Il est tombé sur un terrain vacant à Miami Beach, a fait une offre et s’est lancé dans la construction de tours de condos. « Il a toujours été un homme d’affaires avisé. Il aimait le jeu des affaires et il y excellait », a déclaré sa fille au quotidien floridien il y a quelques années.

Il avait acheté des terrains à Surfside avec des partenaires canadiens au début des années 1980, grâce à un financement obtenu de la Banque Toronto-Dominion, selon les archives d’époque.

Un moratoire était alors en place sur la construction de tours de condos, puisque les égouts municipaux étaient surchargés. En payant la moitié de la facture pour leur mise à niveau, son entreprise a obtenu le feu vert de la Ville pour bâtir. Le groupe d’investisseurs a toutefois été montré du doigt pour avoir fait des contributions politiques à des conseillers municipaux juste avant la décision, ce qui avait choqué le maire de l’époque, vu l’apparence de conflit d’intérêts. Accusés d’avoir voulu influencer la décision, les promoteurs avaient demandé aux politiciens de leur redonner l’argent. Ils avaient ensuite pu commencer à construire une tour après l’autre dans le coin, notamment celle qui s’est effondrée jeudi.

Le marché des condos a connu un creux au cours des années qui ont suivi, et Nathan Reiber s’est fait enguirlander lors de réunions du conseil municipal par des citoyens outrés qu’il ait laissé en plan des fondations d’immeubles inachevés pendant des années, où s’entassaient les déchets et les mares boueuses pleines de moustiques, pourrissant la vie des voisins. Certains déploraient aussi que ses hautes tours cachent la vue sur la mer et le soleil, selon les articles d’époque. Le marché avait tout de même redécollé, et il avait achevé tous ses projets.

Interrogé par un journaliste lors d’une réception en 1988, il disait se lever encore à 6 h 30 le matin pour travailler. Les affaires étaient bonnes. L’année suivante, il avait acheté une luxueuse propriété dans une île artificielle près de Miami Beach, qui avait autrefois appartenu à un sheikh saoudien. Il était devenu un important philanthrope dans la région.

Le fils de Nathan Reiber, qui est avocat à Toronto, n’a pas répondu à une demande d’entrevue de La Presse lundi.

Avec l’Associated Press et l’Agence France-Presse