(Montréal) Le patrimoine bâti peut être protégé avec plus d’argent public, plus d’incitatifs pour les promoteurs ou les ménages qui en sont propriétaires, mais surtout par une meilleure compréhension de sa valeur réelle par toutes les parties impliquées.

Les élus municipaux ont été invités à réfléchir sur la question du patrimoine lors d’une discussion virtuelle aux assises annuelles de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), qui sont en cours cette semaine.

Ainsi, les panélistes invités ont fait la démonstration que la protection de ce patrimoine est payante pour les villes sur le plan des revenus fonciers, pour l’économie locale sur le plan touristique et même bénéfique pour l’environnement.

« Le plus grand défi, c’est un changement de perception. C’est de faire voir que le patrimoine n’est pas un frein au développement, mais a bien sa place dans le développement économique et peut être un levier pour ce développement », a expliqué d’entrée de jeu Claudine Déom, professeure d’architecture à l’Université de Montréal.

Les récentes démolitions de bâtiments historiques — que l’on parle de résidences ou de bâtiments institutionnels — ont semé la consternation auprès de nombreux citoyens.

« C’est un enjeu qui grimpe dans les priorités des Québécois », a fait valoir Marc-André Plante, maire de Terrebonne, une municipalité qui compte 609 bâtiments patrimoniaux répertoriés, dont 129 considérés « de grande valeur ». Pour lui, il ne fait aucun doute que ce sera un enjeu électoral dans plusieurs municipalités.

Manque de ressources

« On manque de ressources », fait-il toutefois valoir, notant que Québec a récemment mis de côté une enveloppe d’un peu plus de 50 millions dont la quasi-totalité pourrait probablement être utilisée par Terrebonne à elle seule.

« On ne peut pas laisser à une petite municipalité le poids financier et laisser le poids foncier s’occuper de la protection de notre patrimoine. Il faut absolument que ce soit partagé et c’est là qu’il faut trouver un peu plus de leadership au Québec. Il faut trouver plus d’argent et il faut se donner des outils et des moyens financiers pour se constituer des recettes fiscales et des montants d’argent dédiés spécifiquement au patrimoine », a-t-il martelé, faisant appel à la création de fonds régionaux et provinciaux dédiés.

Même là, les municipalités ont une capacité d’intervention limitée puisque plusieurs de ces bâtiments historiques sont de propriété privée.

« Ça va faire partie des enjeux : comment les leviers publics vont aussi soutenir ces propriétaires de bâtiments qui sont parfois un jeune ménage ou un couple de retraités, des gens qui veulent entretenir leur bâtiment, mais qui n’ont pas nécessairement les moyens financiers », prévient le maire Plante.

Rendre la préservation plus rentable que la démolition

« Dans ce cas-ci, on a un champ d’intervention parfait pour utiliser des crédits d’impôt », estime Jean-Pierre Lessard, conseiller spécialisé dans le domaine chez Aviséo Conseil.

« On veut que les individus aient une aide pour entretenir leurs bâtiments. C’est la beauté du crédit d’impôt, parce que les programmes de subventions ça aide, ils ont leur pertinence, mais si le toit coule on ne peut pas se retrouver sur la liste d’attente. Il faut faire les travaux tout de suite. »

Pour Marc-André Plante, cette approche vaut aussi pour les promoteurs, ceux qui voient un « vieux » bâtiment comme étant une dépense d’entretien inutile à détruire pour pouvoir bâtir quelque chose de rentable à sa place.

« Il faut absolument que la restauration, la préservation de notre patrimoine soit toujours plus avantageuse que la spéculation immobilière. Quand on se retrouve avec des coûts (de restauration) excessivement élevés versus une reconstruction beaucoup plus profitable, on ne peut pas laisser cette décision à des promoteurs, à des spéculateurs immobiliers. Que ce soit par des subventions ou par des mesures fiscales, il faut rendre ces mesures-là plus avantageuses que la spéculation immobilière », a dit le maire de Terrebonne.

La valeur cachée du patrimoine

Pour les villes, toutefois, il y a dans ces bâtiments une valeur en espèces sonnantes et trébuchantes, explique Jean-Pierre Lessard, dont la firme a réalisé une étude à ce sujet.

« À Québec, les retombées économiques du patrimoine, c’est près de 400 millions par année dans l’économie. La part du lion vient des touristes, mais s’il n’y avait pas le patrimoine, est-ce que les touristes viendraient ? On est vraiment dans une estimation plancher parce qu’on ne tient pas compte, par exemple, des visiteurs d’affaires qui vont au Centre des congrès. Est-ce que les gens iraient au Centre des congrès de Québec s’il n’y avait pas le Vieux-Québec, son secteur patrimonial ?

« Il y a aussi un effet positif sur la valeur des propriétés, poursuit-il. On a regardé les prix des propriétés et il y avait une prime de 2 % sur la croissance des valeurs dans les zones patrimoniales à Québec pour le résidentiel et c’était 1,7 % de prime pour le non résidentiel. Il y a une accumulation de richesse supplémentaire quand il y a un secteur qui est ciblé patrimonial. »

Marc-André Plante renchérit : « La protection du patrimoine, tout le monde en profite et ça vient enrichir les valeurs foncières d’un même secteur, ce qui fait qu’il y a un accroissement de la contribution foncière des voisins. Nécessairement, les voisins vont contribuer davantage par le biais de la taxe foncière. »

Rentable pour l’environnement

Claudine Déom, elle, souligne qu’une étude américaine a démontré que « la conservation du patrimoine est très bénéfique sur le plan financier. Mais c’est a posteriori qu’on le voit. […] Cette étude est intéressante parce qu’elle a fait voir qu’un alignement de bâtiments commerciaux qui peut être constitué de bâtiments très intéressants architecturalement, cet alignement attire les clients, attire la population. »

Plus encore, la protection patrimoniale est rentable sur le plan environnemental.

« On dit souvent dans le milieu du patrimoine que le bâtiment le plus vert est celui qui est déjà construit. Toute réutilisation de bâtiments existants est déjà une mesure favorable à la lutte contre les changements climatiques », dit-elle.

Prenant l’exemple de programmes gouvernementaux qui prévoient par exemple la réutilisation de lieux de cultes qui sont abandonnés par des organismes de toutes sortes, elle croit qu’il est possible de faire d’une pierre deux coups en y ajoutant la composante historique. « Si on pouvait bonifier cet exemple de programme avec une attention particulière sur le patrimoine, une prime pour les bâtiments qui sont identifiés comme étant patrimoniaux, l’incitatif serait d’autant plus grand », fait-elle valoir.