Le suicide en 2019 de Gabriel Lamontagne, un homme de 48 ans qui avait un interdit de contact avec son ex-conjointe à la suite d’une infraction liée à la violence conjugale, montre que les procédures d’évaluation du risque que posent les conjoints violents devraient être davantage utilisées par le système de justice et les corps policiers, dit une coroner.

À l’heure où le Québec vit une vague record de féminicides, les recommandations du rapport de la coroner Stéphanie Gamache sont brûlantes d’actualité. Elle a en effet étudié les circonstances de la mort de M. Lamontagne, qui s’est suicidé dans le domicile familial en octobre 2019. Moins de deux semaines auparavant, l’homme avait écopé d’un interdit de contact avec son ex-conjointe après le dépôt d’une plainte pour voies de fait. Une infraction liée à une situation de violence conjugale.

Le 16 octobre 2019, après avoir reçu des messages répétés de M. Lamontagne sur son téléphone, cette dernière aperçoit le véhicule de son ex-conjoint stationné dans une rue près de son domicile. Elle signale le fait à la police. Les agents pénètrent dans le domicile et découvrent le corps de M. Lamontagne, qui s’est suicidé à l’aide d’une arme à feu.

Avait-il l’intention de s’en prendre à son ex-conjointe ? « Cette hypothèse ne peut être vérifiée pendant l’enquête policière puisque M. Lamontagne ne reprend jamais conscience », note MGamache.

Or, après le dépôt de sa plainte le 3 octobre, non seulement les policiers de Saint-Jean-sur-Richelieu n’ont pas référé le cas de M. Lamontagne pour un suivi psychologique, mais encore ils n’ont jamais utilisé une grille d’évaluation qui permet de déterminer le degré de dangerosité des conjoints lors d’une situation de violence conjugale. Ils ignoraient ainsi que l’homme détenait des armes à feu, jusqu’à ce que sa conjointe le leur signale, le jour où il s’est donné la mort.

Si ce fait avait été connu au moment de sa remise en liberté, celle-ci aurait été assortie de conditions sur la possession d’une arme à feu.

La procédure en place actuellement au stade de la mise en liberté provisoire d’un agresseur dans un contexte de violence conjugale ne favorise pas l’évaluation de sa dangerosité pour lui-même ou pour autrui.

Me Stéphanie Gamache, coroner

Les différents ministères et le Directeur des poursuites criminelles et pénales devraient donc, estime la coroner, faire la promotion du Service d’évaluation pour la mise en liberté provisoire des conjoints violents, qui vise à mieux évaluer les hommes violents avant une remise en liberté. C’était d’ailleurs l’une des recommandations formelles, en décembre 2020, du premier rapport du Comité d’examen des décès liés à la violence conjugale, coprésidé par la coroner Stéphanie Gamache.

Ce Service d’évaluation pour la mise en liberté provisoire des conjoints violents, qui existe depuis 2018 dans quatre régions, a été étendu en décembre dernier dans trois autres régions du Québec. Une enquête du Devoir a cependant démontré en mars dernier que cet outil est très peu utilisé.

De novembre 2018 à décembre 2020, le Service d’évaluation avait été utilisé à seulement 52 reprises. Il n’a jamais été utilisé à Montréal, la région où surviennent pourtant le plus d’infractions en matière de violence conjugale. Chaque année, au Québec, on recense autour de 22 000 infractions pour des crimes liés à la violence conjugale.

Une femme sur huit a subi des actes de violence

Par ailleurs, des chiffres publiés par Statistique Canada lundi montrent qu’une femme sur huit (12 %) dit avoir subi des gestes de violence de la part de son partenaire intime au cours des 12 derniers mois. On parle ici de tous types de violence, qu’elle soit psychologique, physique ou sexuelle. Un homme sur neuf (11 %) fait la même affirmation.

« Par le passé, la méthodologie de Statistique Canada a été très contestée, souligne Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence. C’est de l’autodéclaration, qui ne tient pas compte du contexte dans lequel les gestes sont posés. »

Il y a des résultats un peu symétriques, qui sont surprenants. Oui, il y a des hommes victimes de violence conjugale. Mais l’écart entre les sexes est certainement plus important que cela.

Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence

Sur le cours d’une vie, 44 % des femmes disent avoir subi une forme ou une autre de violence conjugale de la part d’un partenaire intime. C’est aussi le cas d’un peu plus du tiers des hommes. Cependant, les femmes subissent les gestes de violence les plus graves. Elles sont notamment six fois plus susceptibles que les hommes d’avoir subi des agressions sexuelles de la part d’un partenaire. Près d’une femme victime sur dix dit également avoir subi des actes de violence sur une base quotidienne. Quatre femmes sur dix qui ont subi des gestes de violence ont également déclaré avoir peur de leur partenaire, ce qui n’est le cas que de 9 % des hommes victimes.