Les histoires de patrimoine en péril m’intéressent. Et elles ne manquent pas. En écrivant il y a quelques semaines ma chronique sur le bain Saint-Michel et la caserne 26, il m’est revenu à l’esprit le dossier du Théâtre Empress dont m’avait parlé Sue Montgomery, mairesse de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, il y a plusieurs mois.

Comment va ce bâtiment construit en 1927 qui a fait partie des nombreux movie palaces de Montréal qui ont poussé entre 1910 et 1930 ? Disons qu’il est mort de sa belle mort depuis longtemps.

Fermé depuis 1992 à la suite d’un incendie, l’Empress, situé au 5560, rue Sherbrooke Ouest, s’est dégradé au fil des ans. Constat : il n’y a plus rien à faire ! Mais la survie de ses façades néo-égyptiennes est assurée avec un mégaprojet de complexe culturel et communautaire.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le Théâtre Empress, rue Sherbrooke Ouest, à Montréal, est fermé depuis 1992 à la suite d’un incendie.

L’arrondissement de CDN-NDG, propriétaire de ces vestiges, travaille depuis des mois avec la Société de développement et d’habitation de Montréal (SHDM) à tenter de faire revivre ce lieu.

Une série de consultations a eu lieu en décembre devant un comité mixte. Un rapport, que j’ai obtenu, a été remis au conseil d’arrondissement il y a quelques semaines.

Trois scénarios détaillés dans un rapport soumis par la firme EVOQ Architecture ont été considérés pour la rénovation de la façade : une réhabilitation in situ (4,3 millions), une réhabilitation du parement par démontage et remontage (11,2 millions) et une reproduction complète des façades (6 millions).

Le comité a exprimé sa préférence pour le premier scénario tout en précisant qu’il se « désole de constater que le mauvais état du bâtiment pourtant d’intérêt patrimonial ne permette d’en conserver que l’enveloppe externe » et en réitérant qu’« il ne cautionne pas le façadisme ».

Tout le reste du bâtiment serait démoli et une nouvelle construction accueillerait un projet mixte qui combinerait des espaces destinés à la culture et d’autres à vocation communautaire et commerciale.

« Même si tout cela s’est déroulé en Zoom, il y a eu une formidable participation, m’a dit Sue Montgomery. Il y avait beaucoup de créativité. J’ai découvert que les citoyens tiennent beaucoup à ce projet. »

Ce lieu pourrait devenir un centre névralgique de création et de diffusion culturelles dans ce quartier. Certains souhaitent y voir une salle de spectacle, ainsi que des espaces où seraient offerts des cours et des ateliers.

Plusieurs propositions de noms ont déjà été faites : Le Phoenix, Centre d’art Empress/Empress Arts Centre, Empress Arts Hub, The Empress Market, The Empress Theatre Projet, L’interGen, Empress Cultural Centre/Centre culturel Empress, etc.

Vous aurez compris qu’en fonction du caractère culturel de cet arrondissement, les organismes francophones et anglophones qui deviendront locataires de ce bâtiment devront accepter de cohabiter et travailler ensemble.

ILLUSTRATION LE BORGNE RIZK ARCHITECTURE

Maquette soumise par le cabinet Le Borgne Rizk Architecture pour la réhabilitation du théâtre Empress

La prochaine étape sera l’étude des plans architecturaux.

L’Empress est l’œuvre de l’architecte Alcide Chaussé, pour sa façade, et Emmanuel Briffa, pour sa décoration intérieure appelée à disparaître. C’est ce dernier qui a aussi réalisé la décoration du cinéma Rialto, des théâtres Outremont et Snowdon.

Pourquoi l’Empress a-t-il hérité d’un style néo-égyptien ? Les architectes ont sans doute été portés par la tut-mania suscitée par la découverte de la tombe de Toutankhamon, en 1922. Lors de son ouverture, ce théâtre comprenait une salle de 1350 places.

À l’instar d’autres salles du genre, l’Empress a connu un déclin avec l’arrivée de la télévision au début des années 1950. On a tenté plusieurs fois de lui trouver une nouvelle vocation. Souvenez-vous de ce projet d’un complexe multisalle proposé par MK2 en 2017.

L’Empress a fait naufrage, mais son visage a été sauvé. Il pourra encore s’offrir au regard des citoyens habitués à son air singulier et séduisant.

À l’instar des actrices et des acteurs d’Hollywood qui se font ravaler la façade pour continuer à paraître sous les projecteurs, celle de l’Empress continuera de briller. Il faudra se contenter de cela.

Consolons-nous, car ça aurait pu être pire.

L’Empress aurait pu être complètement rasé ou, comme c’est le cas pour de nombreux palaces de cinéma, être transformé en église ou en pharmacie à grande surface. Des écrins pour l’aspirine et la Préparation H, voilà le triste sort que nous réservons à notre patrimoine.

Stoppons le façadisme

Pour l’Empress, il est (une fois de plus) trop tard. « Il est vrai qu’on a trop attendu et maintenant il faut démolir le bâtiment », m’a dit Sue Montgomery.

Je l’ai déjà écrit, nous sommes entrés dans une spirale où l’option du façadisme est devenue une porte de sortie trop commode et hypocrite pour les promoteurs. Il faut absolument mettre fin à cette pratique.

Et pour cela, il faut éviter de se rendre… au façadisme.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Nouveau bâtiment sur le boulevard Robert-Bourassa, où l’on a conservé l’ancienne façade

Cela atteint des proportions énormes et nous conduit à des situations qui nagent dans le ridicule.

Il y a aussi ce que j’appelle « l’enveloppage ». Avez-vous vu ce nouveau bâtiment sur le boulevard Robert-Bourassa tout juste avant la portion de l’autoroute 10 menant au pont Samuel-De Champlain ? Une mer de verre enveloppe l’ancien bâtiment de la banque Duke Investment. On a fait la même chose avec le Café Cléopâtre et le projet du Carré Saint-Laurent.

Préparons-nous à voir de plus en plus ce type de « compromis ».

Nous ne sommes plus dans la préservation ou la sauvegarde du patrimoine. Nous sommes dans le vague et lointain rappel d’un souvenir du passé. Nous sommes à un cran seulement de la plaque dorée qu’on appose sur les murs de la ville.

À force de se faire rappeler le passé, on oublie qu’il fait partie de notre réalité.