(Ottawa) Ralph Goodale, conseiller spécial du premier ministre Justin Trudeau sur l’écrasement du vol PS752 de la compagnie Ukraine International Airlines, survenu il y a un an en Iran, souhaite que son récent rapport sur cette tragédie mène à de profondes réformes internationales sur les procédures à suivre pour enquêter sur de tels écrasements meurtriers.

De telles réformes empêcheraient notamment qu’un pays qui est directement responsable de l’écrasement survenu sur son territoire puisse diriger l’enquête sur les évènements tragiques de quelque manière que ce soit, estime M. Goodale, qui a été ministre de la Sécurité publique durant le premier mandat du gouvernement Trudeau.

M. Goodale, qui n’a pas été réélu dans sa circonscription en Saskatchewan au dernier scrutin, a rendu public son rapport de 74 pages à la fin de décembre, quelques jours avant le premier anniversaire de l’écrasement du vol PS752 qui a tué les 176 personnes à bord le 8 janvier 2020.

La moitié des victimes étaient des citoyens canadiens ou des résidents permanents du Canada. L’appareil a été abattu par deux missiles sol-air tirés par les Gardiens de la révolution islamique iranienne peu après son décollage de l’aéroport de Téhéran.

« Les règles internationales actuelles sont adéquates quand il s’agit d’enquêter sur un accident aérien qui est causé par le mauvais temps, une erreur de pilotage, un moteur qui prend feu ou une envolée d’oies. Mais quand les forces militaires d’un pays sont responsables de la tragédie, c’est un grave problème. Cela représente un énorme conflit d’intérêts », a affirmé M. Goodale dans une entrevue avec La Presse.

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Ralph Goodale, conseiller spécial du premier ministre Justin Trudeau sur l’écrasement du vol PS752 de la compagnie Ukraine International Airlines

Le gouvernement de ce pays se trouve à enquêter sur lui-même. Il faut changer les règles internationales.

Ralph Goodale, conseiller spécial sur l’écrasement du vol PS752, en entrevue avec La Presse

Selon lui, le Canada doit se donner comme mission de faire modifier les règles internationales en multipliant les interventions au sein de forums internationaux comme l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qui compte 193 États membres.

M. Goodale convient que cela pourrait être une tâche fort complexe et difficile, étant donné qu’il faudrait modifier un traité international, et « c’est une démarche qui peut être douloureusement longue ». Mais le Canada pourrait commencer par ajouter des annexes au traité en question.

Son rapport a d’ailleurs été expédié à tous les membres de l’OACI pour qu’ils en prennent connaissance. Dans l’intervalle, il exhorte le premier ministre Justin Trudeau, le ministre des Affaires étrangères Marc Garneau et le nouveau ministre des Transports Omar Alghabra à avoir dans leur valise un exemplaire du rapport quand ils se déplaceront à nouveau à l’étranger.

S’assurer qu’on n’oublie pas

« Pour arriver à établir un consensus international sur les réformes qui s’imposent, il faut s’assurer que le monde n’oublie pas la tragédie du vol PS752. Je crois que l’obligation la plus importante du Canada est de s’assurer que le monde ne l’oublie pas. Ceux qui sont responsables de cette horrible tragédie espèrent que le passage du temps va faire en sorte que tout cela va s’en aller. Mais le Canada doit être persistant et déterminé pour que cela n’arrive pas », affirme l’ancien ministre.

Selon M. Goodale, il importe aussi que le Canada et les autres pays qui ont vu de leurs ressortissants tués lors de cette tragédie aérienne (Suède, Royaume-Uni, Ukraine et Afghanistan) maintiennent collectivement la pression sur l’Iran afin d’obtenir les réponses aux nombreuses questions qui restent en suspens. « Nous devons cela aux familles éplorées », a souligné M. Goodale, qui deviendra sous peu le prochain haut-commissaire du Canada à Londres.

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Des familles et des amis des victimes de l’écrasement du vol PS752 se sont réunis le 8 janvier dernier pour participer à une marche pour marquer le premier anniversaire de la tragédie, à Toronto, en Ontario.

L’une de ces questions qui demeurent sans réponse est de savoir pourquoi le gouvernement iranien n’avait pas fermé son espace aérien aux vols commerciaux la nuit où ses forces militaires ont lancé des missiles alors que Téhéran appréhendait une attaque de la part des États-Unis.

Parmi les autres réformes qui doivent être mises en œuvre, M. Goodale croit que l’on doit s’assurer à l’avenir que les pays comptant des victimes d’une tragédie aérienne aient une voix au chapitre dans le déroulement de l’enquête. À l’heure actuelle, les règles leur accordent le statut d’observateur seulement.

« Le Canada est le pays qui a encaissé le plus grand nombre de victimes. Ce n’est pas suffisant d’avoir un rôle d’observateur. Il faut changer les règles pour que les pays endeuillés aient aussi un rôle », a-t-il plaidé. Les règles actuelles donnent le droit de participer à l’enquête au pays où a eu lieu l’accident, au pays d’où provient la compagnie aérienne, au pays où est construit l’appareil ainsi qu’au pays où les moteurs ont été construits. Dans ce cas-ci, l’Iran, l’Ukraine, les États-Unis et la France ont été appelés à jouer un rôle dans l’enquête, alors que le Canada a été cantonné au rôle d’observateur, a souligné M. Goodale.