Le déboulonnement de la statue de John A. Macdonald, samedi, dans la foulée d’une manifestation sur la réduction du budget de la police à Montréal, a relancé le débat sur le mouvement de réappropriation de l’espace public qui prend de l’ampleur aux États-Unis et au Canada. Pour mieux comprendre ces enjeux, La Presse s’est entretenue avec Mathieu Arsenault, professeur au département d’histoire de l’Université de Montréal.

De nos jours, que reproche-t-on exactement à John A. Macdonald ?

Il est une cible assez évidente, étant donné qu’il était un politicien conservateur qui était très près des cercles orangistes, et qui avait une conception du Canada qui se résumait à un empire britannique en Amérique du Nord. Il ne faisait aucune place à la diversité telle qu’on la connaît aujourd’hui. Sa mémoire a donc plus ou moins de liens avec ce qu’est devenu ce pays, d’autant qu’il s’est vivement opposé aux Métis au Manitoba. Les autochtones dans l’Ouest faisaient en réalité barrage à son plan de colonisation.

Quels impacts pourrait avoir le déboulonnement de cette statue ?

Ces monuments organisent l’espace urbain et public. Ce sont des points focaux qui portent un message. Dans le cas présent, ce message est radicalement opposé à celui que défendent les manifestants. Sa simple présence est vue comme rétrograde. En déboulonnant la statue, les gens montrent qu’ils veulent se faire entendre. Ils sont là pour « Defund the police », pour « Idle No More », mais aussi pour se réapproprier leur ville. On peut dresser un parallèle avec les slogans « À nous la rue », qu’on entend souvent dans les rassemblements, qui illustrent cette voix que plusieurs veulent avoir dans l’aménagement de l’espace social et communautaire.

D’où vient ce mouvement de réappropriation de l’espace public ?

Ça fait suite à des mouvements de l’histoire récente aux États-Unis, certes, mais bien avant, il y a toute une tradition à Montréal et au Canada de contestation des figures et des symboles. Si on pense à la statue de Macdonald, le mouvement souverainiste l’avait déjà décapitée dans les années 60. Elle a été ciblée à plusieurs reprises comme figure de l’impérialisme canadien contre les Canadiens français, mais aussi, plus récemment, contre les Premières Nations.

Comment doit réagir une ville comme Montréal à de pareils incidents ?

Il y a une réticence des autorités à déboulonner une statue, puisque c’est très clivant. Il va toujours y avoir, aussi, des gens qui vont le voir comme un affront collectif. Jusqu’ici, la Ville de Montréal prend de bonnes décisions pour promouvoir la réconciliation; on peut penser à la rue Amherst qui est devenue la rue Atateken. Après, il semble y avoir un paradoxe dans le fait que la Ville n’a pas agi jusqu’à maintenant dans le cas de Macdonald, si ce n’est pour la nettoyer quand elle était vandalisée. Maintenant qu’elle est par terre, peut-être que la réflexion devra aller plus loin.

Avez-vous des exemples de municipalités qui ont pris des décisions à ce chapitre ?

Oui, la Ville de Victoria a choisi de retirer la statue de Macdonald qui était devant son hôtel de ville, en août 2018. Le message qui a alors été passé, c’est que célébrer cette mémoire et cet héritage ne correspond pas à nos valeurs. Ce qui change toujours, c’est la manière d’enlever ces statues, à savoir si on garde un panneau explicatif ou non, par exemple.